Les facteurs de satisfaction liés à l’environnement de travail des managers transfrontaliers du Rhin supérieur

Wodociag, S. (2021). Les facteurs de satisfaction liés à l’environnement de travail des managers transfrontaliers du Rhin supérieur. Revue de gestion des ressources humaines, 119, 18-30.   https://doi-org.devinci.idm.oclc.org/10.3917/grhu.119.0018

 Mots clés : satisfaction au travail, exigence et ressources, mobilité transfrontalière

 

Entre 1999 et 2012, la main d’œuvre transfrontalière connaît une forte croissance (+ 21% dans le Rhin Supérieur (Insee, 2016)), cependant, la relation à l’emploi des transfrontaliers reste peu étudiée. Pourtant, la fatigue liée au trajets quotidiens, additionné à une pénibilité des conditions de travail et à un rythme de travail élevé pose des questions sur la pérennité de l’emploi.

A travers cet article, S.Wodociag étudie les exigences et les ressources de travail sur la satisfaction des transfrontaliers.

Dans un premier temps, nous verrons une approche théorique sur la spécificité de l’environnement de travail des transfrontaliers ainsi que sur leurs conditions de travail.

Enfin, les résultats obtenus suite à l’étude effectuée auprès de ces salariés, et de leurs managers, sur leurs ressources et exigences personnelles et organisationnelles.

 

L’article commence par une rapide présentation du contexte avec la définition d’une mobilité transfrontalière. Celle-ci concerne près de 355 000 travailleurs Français en 2017 (Observatoire des Territoires, 2017) et correspond au déplacement quotidien, ou presque, d’un individu entre son lieu de résidence et son lieu de travail (Commenges et Fen-Chong, 2017) dans un autre pays.

Si la mobilité transfrontalière est de plus en plus populaire, c’est parce qu’elle présente de nombreux avantages : une rémunération et un niveau de vie élevés (Casteigts, 2003), des conditions de travail avantageuses (Brahimi, 1980) ainsi qu’un régime fiscal ou une couverture sociale attractifs (Casteigts, 2003).

 

L’autrice nous rappelle ensuite la définition de la satisfaction au travail : « état émotionnel positif ou plaisant résultant de l’évaluation qu’une personne fait de ses expériences de travail » (Locke, 1976). Il s’agit donc de l’adéquation entre les désirs de l’individu et ce que lui apporte son travail ou son environnement de travail (Paillé, 2008). Les déterminants de la satisfaction au travail sont diffèrents selon que la satisfaction au travail soit considérée comme un état affectif (Beyssere des Horts et Nguyen, 2010) ou une attitude. Dans le premier cas, la satisfaction au travail correspond alors à un ensemble d’émotions positives ressenties pendant le travail (Mignonac, 2004). Dans le second cas, l’attitude provient de l’analyse des contributions de l’individu par rapport à ce qu’il retire de son travail (Mignonac, 2004).

 

La lecture de la littérature actuelle se base sur cinq facteurs principaux de satisfaction au travail proposés par Larouche (1973) : la relation à l’emploi, la reconnaissance, les collègues de travail, la réalisation de soi et la supervision. En croisant ces éléments avec le cadre théorique du modèle Exigences-Ressources (Bakker et Demerouti, 2007), les processus de motivation peuvent s’expliquer par les exigences et les ressources de travail.

En effet, les exigences renvoient aux aspects physiques, psychologiques, sociaux ou organisationnels du travail qui nécessitent un effort ou des compétences physiques, cognitives et émotionnelles soutenus, souvent associés à des coûts physiologiques et psychologiques (Bakker et Demerouti, 2007) ; les ressources correspondent, quant à eux, à la perception qu’ont les individus de leurs capacités à réussir dans un environnement.

 

L’analyse théorique met en exergue les premiers éléments de réflexion suivants :

La reconnaissance : Les individus cherchent un équilibre entre ce qu’ils investissent dans leur travail et ce qu’ils en retirent. Pour les transfrontaliers, les considérations salariales sont considérées comme avantageuses (Soutif, 1999 ; Cohen-Solal, 1991 ; Aubry, 1984) par rapport au contexte national.

 La relation à l’emploi : elle correspond à la relation dynamique nouée entre l’individu et l’organisation. Alors que les conditions de travail des transfrontaliers sont perçues comme agréables (Organisation d’études et de développement, 1972) grâce à la flexibilité des horaires, la possibilité de journée continue (Nonn et Specklin, 1974) ou la sécurité de l’emploi, les éléments négatifs concernent le temps de travail légal plus long, les congés payés plus courts ou encore les systèmes de protection sociale divergents.

 Les collègues de travail : le soutien des collègues est un élément important pour se sentir bien au travail et se sentir appréciés et soutenus (Eisenberger et al., 1990).

 La supervision : la satisfaction au travail est mise en lien avec la justice organisationnelle avec laquelle les employés se sentent traités par leur responsable hiérarchique (Greenhaus et al, 1990). Chez les transfrontaliers, les relations sont perçues comme bonnes (Nonn et Specklin, 1974 ; Organisation d’études et de développement, 1972).

 La réalisation de soi : en entreprise, elle passe essentiellement par les actions de formation (Nonn et Specklin, 1974) proposées en interne. Pour les transfrontaliers, des plans de développement sont mis en place afin de favoriser les reconversions professionnelles.

 

Passons à présent à l’étude présentée dans cette article académique. Cette dernière s’est faite sous forme d’entretiens : une première partie questionnait les parcours professionnels et expériences liées à la mobilité ainsi que l’adéquation entre la formation et la fonction exercée ; une deuxième partie interrogeait les perspectives d’avancement, la hiérarchie et le vécu relationnel avec les collègues ; enfin, la troisième partie approfondissait, les spécificités et barrières culturelles.

 

En rappel avec l’examen de la satisfaction au travail des managers transfrontaliers réalisé précédemment, la présentation des résultats explique les exigences et ressources (Bakker et Demerouti, 2007) ayant des effets sur la satisfaction au travail, selon les éléments suivants : la reconnaissance, la relation à l’emploi, les collègues de travail, la supervision et la réalisation de soi (Larouche et al., 1973). L’étude tient compte de la responsabilité d’encadrement des répondants.

 

Premier point observé et qui reste en accord avec la littérature concernant la motivation à travers la rémunération (Fall et Roussel, 2014) : les résultats indiquent que les salaires élevés sont des éléments attractifs expliquant la mobilité des managers transfrontaliers. Par ailleurs, c’est essentiellement le soutien organisationnel perçu (Eisenberger et al., 1990) qui motivent ces derniers (Ryan et Deci, 2000), leur permettant de « satisfaire les besoins psychologiques d’autonomie, de compétence et d’appartenance sociale » (Gagné et Deci, 2005).

Le soutien organisationnel est ressenti à travers trois aspects : l’exercice d’une responsabilité managériale, les possibilités d’évolution professionnelle et la mise en place d’actions de formation favorisant le développement et la reconversion professionnelle (Flückiger, 2007). Ces résultats rejoignent ceux de l’étude sur les carrières des transfrontaliers ouvriers et employés (Lutz et al., 2018)

Dans un deuxième temps, l’étude confirme la littérature concernant la supervision et les collègues de travail des managers transfrontaliers. Le soutien des superviseurs et des collègues se présente comme une ressource ou, voire, comme une exigence en fonction de la proximité culturelle ressentie et du degré d’internationalisation de l’organisation.

Enfin, les résultats confirment, encore une fois, les éléments de la littérature concernant la relation à l’emploi des managers transfrontaliers et notamment les principales exigences liées au statut du travailleur transfrontalier comme le rythme de travail élevé et l’organisation familiale (Viry et al., 2009), exacerbés par les trajets quotidiens

 

En conclusion, cette article nous apporte de premiers éléments explicatifs et descriptifs concernant la relation à l’emploi des managers transfrontaliers.

De manière générale, leur environnement de travail se présente comme une source de satisfaction. Cette impression est essentiellement mise en lien avec les multiples ressources de travail organisationnelles qui favorise la réalisation de soi et la reconnaissance. En particulier, les managers transfrontaliers évoquent les possibilités de carrière et d’accès aux responsabilités hiérarchiques au mérite qui permettent d’engager une relation à l’emploi motivante sur le long terme.

En contrepartie, l’étude confirme la pénibilité de la mobilité quotidienne de longue durée en lien avec le rythme de travail intense et l’équilibre travail-famille. Sur le plan pratique, les résultats suggèrent la mise en place d’un dispositif de gestion spécifique aux managers transfrontaliers, catégorie jusqu’à présent non différenciée par les organisations au regard de leur main d’œuvre nationale (Lutz, 2020). Afin de consolider ces premiers résultats exploratoires, une prochaine étude pourrait intégrer la dimension continue des carrières réalisées, questionnant les motivations de la mobilité régionales et internationale et confrontant les dynamiques identifiées à un groupe de contrôle sédentaire.

 

 

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