La dégradation du bien-être au travail en EHPAD : une analyse par le concept de contrat psychologique et le modèle Exigences-Ressources

Saboune, K. (2022). La dégradation du bien-être au travail en EHPAD : une analyse par le concept de contrat psychologique et le modèle Exigences-Ressources. @GRH, 42, 35-58.  https://doi-org.devinci.idm.oclc.org/10.3917/grh.042.0035

Mots clés : environnement de travail, bien-être au travail, soutien social, expériences-ressources, contraintes psychologiques relationnel

 

A travers cette article, l’auteur cherche à étudier la dégradation du bien-être au travail en EHPAD à travers le modèle exigences-ressources du travail et le concept de contrat psychologique.

En effet, les EHPAD, autrement dit les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, connaissent de profondes évolutions liées aux réformes successives qui visent à optimiser les dépenses et à améliorer la qualité de la prise en soins des résidents.

Nous verrons qu’à travers cette étude, les changements conduits par ces réformes semblent générer du stress, de l’épuisement et du mal-être au travail.

Pour cela, nous évoquerons, dans un premier temps, le modèle exigences-ressources du travail ainsi que le contrat psychologique relationnel.

Enfin, nous terminerons par l’analyse de l’étude sur le bien-être au travail au sein d’un EHPAD suivie des conséquences des interactions entre exigences et ressources du travail.

 

Un rapide rappel sur le contexte des EHPAD : depuis le début des années 2000, des restructurations et de nouvelles pratiques managériales ont lieu afin de conformer les établissements aux directives des pouvoirs publics. Ces derniers visent, à travers une série de lois et de réformes, à moderniser la gestion des établissements dans le but d’accroître la performance de ces derniers. Dans ce but, les professionnels des EHPAD sont souvent amenés à travailler dans l’urgence en faisant toujours « plus et mieux avec moins ».

Ainsi, les nouveaux modes de fonctionnement des EHPAD et les politiques d’amélioration des coûts s’avèrent certes indispensables (Minvielle, 2006), mais ils tendent à augmenter les contraintes psychologiques, physiques et organisationnelles (Detchessahar et al., 2010 ; DREES, 2016) des salariés et risquent d’altérer leur bien-être au travail (Abord de Chatillon, Desmarais, 2012 ; DARES, 2018).

Dès lors, les difficultés psychosociales constituent un défi pour les directions des EHPAD dans la mesure où elles impactent la qualité de la prise en soins des résidents (Martet-Bertrand, 2019) et l’efficacité de leurs établissements.

 

Avant de passer à l’étude, l’auteur nous évoque la notion de perturbation négative qui se produit lorsqu’un employé s’aperçoit d’une modification des obligations réciproques et d’un écart significatif entre ses contributions et les incitations de son organisation. Toutefois, la perturbation négative du contrat psychologique se traduit par des émotions de détresse psychologique, de frustrations, de déception, voire de colère. (Guerrero, Naulleau, 2016).

Cet article entend donc apporter des éléments de compréhension sur le lien entre perturbation négative du contrat psychologique relationnel (CPR) et l’altération du bien-être au travail. Dans ce but, l’auteur a fait le choix de mobiliser le modèle exigences-ressources du travail (Demerouti et al., 2001 ; Bakker et al., 2003) dans la mesure où il permet de comprendre comment le bien-être au travail se dégrade en conséquence d’une perturbation négative du CPR.

Pour rappel, le contrat psychologique a pour objectif d’étudier la relation entre un employé et son organisation afin de comprendre les conséquences comportementales qui s’en rattachent. Il permet ainsi d’expliquer les réactions des professionnels du secteur face aux transformations des modes de fonctionnement de leurs organisations (Cassar, Briner, 2011 ; Sabouné, Montargot, 2017 ; Sabouné, 2021) et d’analyser les effets de la rationalisation des dépenses sur leur bien-être au travail (Rossano et al., 2015).

 

Le bien-être au travail est définit comme un élément de responsabilité sociale, il correspond à « un état psychologique résultant d’un rapport positif aux autres, à soi, aux temps et à l’environnement physique au travail » (Biétry, Creusier 2013, p. 34). Le bien-être au travail consiste donc en une évaluation positive que l’individu réalise de son environnement de travail.

Le modèle exigences-ressources du travail, quant à lui, permet de comprendre les caractéristiques du travail qui sont susceptibles de stimuler la motivation ou d’influencer le bien-être au travail (Demerouti et al., 2001 ; Bakker et al., 2003 ; Bakker, Demerouti, 2007). Ce modèle précise que pour chaque emploi, des exigences et des ressources de natures différentes interagissent.

 

Présentons à présent le modèle en définissant chacun des deux aspects :

  • Les exigencesfont référence à des aspects physiques, organisationnels ou sociaux d’un emploi qui exige un effort physique, émotionnel ou cognitif générant un coût physique et/ou psychologique (Demerouti et al., 2001 ; Bakker et al., 2007). Il peut s’agir d’une charge émotionnelle excessive, d’une charge de travail forte, …
  • Les ressources sont, quant à elles, créatrices de motivation au travail. Elles correspondent aux aspects sociaux, physiques, organisationnels ou psychologiques d’un emploi qui permettent de compenser les exigences du travail, parfois élevées, et d’atteindre des objectifs organisationnels (Bakker, Demerouti, 2007). Protéger, conserver et augmenter ces ressources constitue donc une garantie du bien-être au travail (Neveu, 2007).

Selon ce modèle, les interactions entre exigences et ressources du travail conduisent à :

  • La dépréciation du bien-être au travail si les ressources mobilisées sont insuffisantes pour faire face à d’importantes exigences au travail ;
  • L’augmentation de la motivation et de l’engagement au travail lorsque la quantité des ressources dont le salarié dispose permettent de diminuer les effets négatifs des exigences du travail (Bakker, Demerouti, 2007).

 

A travers cette étude qualitative, l’auteur a cherché à accéder aux perceptions et aux représentations des professionnels de l’EHPAD relatives aux termes de leur CPR et à leur contexte de travail.

Les résultats de cette études sont les suivants :

  • Nous observons un manque important de ressources sociales, notamment le soutien de la hiérarchie, dans un secteur où les valeurs humaines sont indispensables et les métiers se veulent solidaire et sociale. Nous l’avons vu à tous les niveaux hiérarchiques, les acteurs interrogés appuie sur la dégradation de la relation avec leurs managers. Ces derniers leur paraissent nettement très peu accessibles, moins disponibles et moins ouverts à la discussion. Ainsi, les employés interrogés déclarent ne pas pouvoir compter sur le soutien technique et émotionnel de leurs supérieurs hiérarchiques pour faire face à des exigences du travail de plus en plus grandes. Par ailleurs, des ressources sentimentales mobilisées par certains acteurs de l’EHPAD, comme la « reconnaissance des résidents» ou l’« amour du métier », s’avèrent indispensables pour préserver leur engagement au travail, mais ne permet pas de remplir leur bien-être au travail au maximum.
  • Les résultats de la recherche conduisent également à s’interroger sur l’origine des dysfonctionnements organisationnels perçus par tous les acteurs de l’EHPAD, tel que le déficit d’informations et de communication, l’absence de clarté sur la répartition des rôles, … Ces dysfonctionnements contribuent également à la perception de perturbation négative du CPR. Dans cette optique, le soutien de la hiérarchie s’avère indispensable. Ainsi, la maintenance du CPR collectif serait possible en grande partie grâce à la mobilisation de nouvelles ressources énergétiques (fierté du travail bien fait, valeurs humaines, temps,…), mais aussi et surtout sociales (environnement social apaisé, soutien de la hiérarchie et des collègues, …). Ainsi, il serait donc pertinent de multiplier les échanges et les discussions sur l’activité quotidienne entre fonctions et avec la Direction de l’EHPAD afin d’entreprendre une relation managériale de meilleure qualité et une organisation plus adaptée permettant ainsi de réduire les exigences du travail.

 

 

 Le secteur des EHPAD, fortement sollicité ces dernières années, est en pleine mutation. Il s’avère donc aujourd’hui indispensable de préserver le bien-être au travail de tous les acteurs de l’EHPAD (employés, managers et résidents) afin de pouvoir accueillir les changements conduits par les réformes sur de bonnes bases et améliorer la qualité des soins.

Nous pouvons donc noter que l’amélioration des relations sociales et la mise en place d’une organisation du travail plus humaine, qui remet le résident en priorité et qui permet d’additionner logiques économiques et logiques sociales devraient aujourd’hui relever d’une vraie stratégie et être préparées, afin de ne pas avoir à subir le négatif des enjeux liés à la complexité de l’environnement des EHPAD.

 

Références bibliographiques

  • ABORD DE CHATILLON, E., & DESMARAIS, C. (2012). Le nouveau Management Public est-il pathogène ? Management International, 16 (3), p.10-24.
  • ALPHONSE-TILLOY, I. ET AL. (2021). Voyage des ressources en organisation polaire : étude d’un « Caravan Ressources Passageway » au sein d’un centre hospitalier. @ GRH, (38), p. 71-104.
  • AMONG PRISON GUARDS. JOURNAL OF ORGANIZATIONAL BEHAVIOR, 28 (1), p. 21-42.
  • BACHELARD, O. (2017). Le bien-être au travail. Presses de l’EHESP.
  • BAKKER, A. B. ET AL. (2003). A multi-group analysis of the Job Demands-Resources model in four home care organizations. International Journal of Stress Management, 10 (1), p. 16-38.
  • BAKKER, A. B. ET AL. (2005). Job resources buffer the impact of job demands on burnout. Journal of Occupational Health Psychology, 10 (2), p. 170-180.
  • BAKKER, A. B., & DEMEROUTI, E. (2007). The Job Demands-Resources model: State of the art. Journal of Managerial Psychology, 22 (3), p. 309-328.
  • BAKKER, A. B., & SCHAUFELI, W. B. (2008). Positive organizational behavior: enga- ged employees in flourishing organizations. Journal of Organizational Behavior, 29 (2), p. 147-154.
  • BANKIN, S. (2015). A process perspective on psychological contract change: Making sense of, and repairing, psychological contract breach and violation through employee coping actions. Journal of Organizational Behavior, 36 (8), p.1071-1095.
  • BANKINS, S. ET AL. (2020). Charting directions for a new research era: addressing gaps and advancing scholarship in the study of psychological contracts. European Journal of Work and Organizational Psychology, (29), p. 159-163.
  • BEN AISSA, H, & SASSI, N. (2018). Application du modèle du « Job/Demand/ Resource » à l’analyse des niveaux de stress des cadres. Management International, 23 (2), p. 32-34.
  • BIÉTRY, F., & CREUSIER J. (2013). Proposition d’une échelle de mesure positive du bien-être au travail (EPBET). Revue de gestion des ressources humaines, (87), p. 23-41.
  • CASSAR, V., & BRINER, R. (2011). The relationship between psychological contract breach and organizational commitment: Exchange Imbalance as a moderator of the mediating role of violation. Journal of Vocational Behavior, 78 (2), p. 283-289.
  • COHEN, S., & WILLS, T. A. (1985). Stress, social support, and the buffering hypo- thesis. Psychological Bulletin, 98 (2), p.310-357.
  • CONWAY, N., & BRINER, R. (2009). Fifty years of psychological contract research: What do we know and what are the main challenges? In: Hodgkinson, G. P., Ford, J. K. International review of industrial and organizational psychology. Wiley-Blackwell, p. 71-130.
  • COYLE-SHAPIRO, J. A. M., & KESSLER, I. (2002). Exploring the reciprocity through the lens of psychological contract: employee and employer perspectives. Journal of work and organizational psychology, 11 (1), p. 69-86.
  • DAGENAIS-DESMARAIS, V. (2010). Du bien-être psychologique au travail : fonde- ments théoriques, conceptualisation et instrumentation du construit. Thèse de docto- rat, Université de Montréal.
  • DARES (2018). Travail et bien-être psychologique. L’apport de l’enquête CT-RPS 2016. Document d’études, (217).
  • DEMEROUTI, E. ET AL. (2001). The job demands-resources model of burnout. Journal of Applied psychology, 86 (3), p. 499-512.
  • DEMEROUTI, E., & BAKKER, A. B. (2011). The Job Demands-Resources model: Challenges for future research. South African Journal of Industrial Psychology, 37(2), p. 1-9.
  • DETCHESSAHAR, M. ET AL. (2010). Les modes de régulation du travail et leurs effets sur la santé des salariés deux établissements d’accueil des personnes âgées en quête de management. Finance Contrôle Stratégie, 13 (4), p. 39-74.
  • DREES (2016). Des conditions de travail en EHPAD vécues comme difficiles par des personnels très engagés. Les Dossiers de la Drees, (5).
  • GUERRERO, S. (2005). La mesure du contrat psychologique dans un contexte de tra- vail francophone. Relations Industrielles, 60 (1), p. 112-144.
  • GUERRERO, S., & NAULLEAU, M. (2016). What’s Next after Psychological Contract Violation? Industrial Relations, 71 (4), p. 639-659.
  • GUEST, D. E., & CONWAY, N. (2002). Communicating the psychological contract: An employer perspective. Human Resource Management Journal, 12 (2), p. 22-38.
  • HALBESLEBEN, J. R. B. ET AL. (2014). Getting to the “COR”: understanding the role of resources in conservation of resources theory. Journal of Management, 40 (5), p. 1334-1364.
  • HLADY-RISPAL, M. (2002). La méthode des cas : application à la recherche en ges- tion. De Boeck.
  • HOBFOLL, S. E. (1989). Conservation of resources. American Psychologist, 44 (3), p. 513-524.
  • HOBFOLL, S. E. ET AL. (2018). Conservation of resources in the organizational context: the reality of resources and their consequences. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 5, p. 103-128.
  • KARASEK, R. A. (1979). Job Demands, Job Decision Latitude, and Mental Strain: Implications for Job Redesign. Administrative Science Quarterly, 24 (2), p. 285-308.
  • KNAPP, J. R. ET AL. (2020). Towards a social-cognitive theory of multiple psycho- logical contracts. European Journal of Work and Organizational Psychology, (20), p. 200-214.
  • MARTET-BERTRAND, V. (2019). De la perception à l’acceptation de la performance en secteur médico-social : apports et influences des représentations sociales Le cas des EHPAD privés à but lucratif. Thèse de doctorat en Sciences de Gestion, Aix- Marseille Université.
  • MILES, M., & HUBERMAN, M. (2005). Analyses des Données Qualitatives. De Boeck. MINVIELLE, E. (2006). New Public Management “à la Française”: The case of the
  • Regional Hospital Agencies. Public Administration Review, 66 (5), p. 753-763.
  • MOREAYU-GREFE, G., & PEYRAT-GUILLARD, D. (2020). L’après d’une violation des contrats tacites : une proposition de modèle à partir du cas des pilotes Air France. Revue de gestion des ressources humaines, (115), p. 19-40.
  • MORRISON, E.W., & ROBINSON, S.L. (1997). When employees feel betrayed: a model of how psychological contract violation develops. Academy of Management Review, 22 (1), p. 226-256.
  • NEVEU, J.-P. (2007). Jailed resources: Conservation of resources theory as applied to burnout.
  • POILPOT-ROCABOY, G. (2017). Triptyque temporel et bien-être au travail : l’illustra- tion d’un établissement de santé. In : Bachelard O., Le bien-être au travail. Presses de l’EHESP, p. 147-154.
  • ROSSANO, M. (2019). Entre spirales de ressources et souffrance psychosociale à l’hôpital. Journal de Gestion et d’économie de la santé, 37 (2), p. 135-158.
  • ROSSANO, M. ET AL. (2015). Rupture du contrat psychologique et risques psychoso- ciaux : une recherche intervention dans le cadre de la théorie de la conservation des ressources. Revue Gestion des Ressources Humaines, (95), p.58-77.
  • ROUSSEAU, D. M. (1989). Psychological and Implied Contracts in Organizations. Employee Responsibilities and Rights Journal, 2 (2), p. 121-139.
  • ROUSSEAU, D. M. (1995). Psychological Contracts in Organizations: Understanding written and unwritten agreements. Sage Publications.
  • ROUSSEAU, D.M. ET AL. (2018). A dynamic phase model of psychological contract processes. Journal of Organizational behaviour, 39 (9), p. 1081-1098.
  • SABOUNÉ, K. (2021). Le faible soutien social des supérieurs hiérarchiques : un élé- ment perturbateur du contrat psychologique relationnel des salariés opérationnels du secteur médico-social. Management & Avenir, (124), p. 37-55.
  • SABOUNÉ, K. ET AL. (2021). Les espaces de discussion : un outil de régulation des tensions de rôle en EHPAD ? 32ème Congrès de l’AGRH, Paris, 13-15 octobre.
  • SABOUNÉ, K., & MONTARGOT, N. (2017). Clarification et évaluation des termes du contrat psychologique : le cas d’un établissement médico-social en mutation ». @ GRH, (25), p. 9-34.
  • SAFY-GODINEAU, F. (2013). La souffrance au travail des soignants : une analyse des conséquences délétères des outils de gestion. La nouvelle revue du travail, (3).
  • SILVERI, F. (2017). Peut-on compenser des conditions de travail nocives ? L’apport du modèle Exigences-Ressources. @GRH, (24), p. 29-53.
  • TEKLEAB, A. G., & TAYLOR M. S. (2003). Aren’t there two parties in an employment relationship? Antecedents and consequences of organization-employee agreement on contract obligations and violations. Journal of Organizational Behavior, 24 (5), p.585-608.
  • TOMPROU, M., & HANSEN, S. D. (2018). Addressing psychological contract disrup- tions during organizational change: Managing goals, zone of negotiability, and social network activation. In Petrou, P., & Vakola M. (éds.), The psychology of organizational change, Routledge-Taylor & Francis.
  • TURNLEY, W. H. ET AL. (2003). The Impact of Psychological Contract Fulfillment on the Performance of In-Role and Organizational Citizenship Behaviors. Journal of Management, (29), p. 187-206.