Roederer, C. (2012). Stratégies expérientielles et dimensions de l’expérience : la quête de l’avantage concurrentiel commercial. Décisions Marketing, 67, 63-74.
Mots-clés : Stratégie expérientielle, marketing expérientiel, expérience vécue, avantage concurrentiel.
Claire Roederer propose une analyse des stratégies expérientielles dans une perspective managériale, en s’appuyant sur une grille de lecture des dimensions de l’expérience vécue par le consommateur. L’autrice distingue deux grands types de stratégies : la création d’une offre d’expérience (où l’expérience est le produit lui-même, comme dans les parcs à thème) et la différenciation par l’expérience (par le biais du produit, du prix, de la distribution ou de la communication).
Elle souligne l’importance de la perception du client et met en garde contre trois risques majeurs : la banalisation, les promesses non tenues et la mauvaise compréhension des dimensions de l’expérience. Une grille d’analyse à quatre dimensions (hédonico-sensorielle, rhétorique, temporelle, praxéologique) est proposée pour mieux piloter ces stratégies.
Développement
Roederer (2012) commence par rappeler que l’expérience peut se définir comme une interaction signifiante entre une personne, un objet consommé et une situation donnée (inspirée du modèle P.O.S. de Punj & Stewart, 1983). L’entreprise peut donc agir sur ces éléments pour provoquer des expériences gratifiantes. Deux grandes stratégies sont distinguées :
- La création d’une offre d’expérience, où l’expérience constitue le cœur même de l’offre, comme les parcs Disney ou le Club Med. Ces environnements sont fortement scénarisés et immersifs (Pine & Gilmore, 1999 ; Ritzer, 1999).
- La différenciation par l’expérience, où l’entreprise enrichit un produit ou un service existant à travers une ou plusieurs dimensions du marketing mix. Cela peut se faire via :
- Le produit (ex. Nespresso et ses capsules raffinées – Roederer, 2012),
- Le prix (ex. restaurants à prix libre),
- La distribution (ex. pop-up stores comme Clemens en August),
- La communication (ex. affichage olfactif « Urban Sens » de JC Decaux – Rose, 2009).
Ces démarches supposent une mise en scène maîtrisée du contexte expérientiel (Carù & Cova, 2006), qu’il soit physique (lieu de vente, transports, parcs) ou virtuel (sites web, campagnes publicitaires). L’implication du consommateur dans le déroulement de l’expérience est essentielle (Eiglier & Langeard, 1987).
Roederer met en évidence les dimensions clés de l’expérience vécue par le consommateur (Roederer, 2012 ; Filser, 2008) :
- Hédonico-sensorielle : plaisir des sens,
- Rhétorique : valeur symbolique et image projetée,
- Temporelle : gestion du temps et rythme de l’expérience,
- Praxéologique : actions réalisées par le consommateur.
L’entreprise doit identifier les dimensions dominantes de l’expérience afin d’optimiser son impact. Par exemple, dans le cas de Nespresso, la stratégie combine une mise en scène de la marque, une distribution exclusive, et une communication immersive autour de George Clooney pour créer un univers premium.
Toutefois, ces stratégies ne sont pas sans risques. Roederer (2012) identifie trois écueils majeurs menaçant l’avantage concurrentiel :
- La banalisation : lorsque l’expérience devient standardisée et facilement copiée (ex. Starbucks).
- Les promesses non tenues : lorsque le personnel ou les ressources ne permettent pas de délivrer l’expérience attendue.
- La méconnaissance des dimensions vécues : lorsque l’entreprise ne comprend pas réellement ce qui donne du sens à l’expérience pour le consommateur (ex. échec du New Coke).
L’auteure propose une grille d’analyse croisant les variables du mix marketing, les attentes consommateurs, les actions des concurrents, et les moyens internes disponibles. Cette grille permet d’ajuster la stratégie de manière fine pour atteindre un véritable avantage concurrentiel commercial durable (Trinquecoste, 1999).
Conclusion
Cette contribution souligne qu’une stratégie expérientielle efficace ne repose pas uniquement sur la créativité des dispositifs mais sur la cohérence entre l’intention de l’entreprise et l’expérience perçue par le consommateur. En approfondissant la compréhension des dimensions sensibles du vécu, les entreprises peuvent concevoir des contextes expérientiels différenciants, porteurs de valeur et d’émotions positives. Cette approche peut être transposée aux services publics comme les gares, où l’aménagement de l’espace, la signalétique, les services offerts et l’ambiance globale peuvent devenir des leviers de transformation de l’expérience client.
Références bibliographiques
- Badot, O., & Cova, B. (2009). Néo-marketing, reloaded. EmS.
- Carù, A., & Cova, B. (2006). Expériences de marque : comment favoriser l’immersion du consommateur. Décisions Marketing, 41, 43-52.
- Filser, M. (2002). Le marketing de la production d’expérience. Décisions Marketing, 28, 13-22.
- Filser, M. (2008). L’expérience de consommation : concepts, modèles et enjeux. Recherche et Applications en Marketing, 23(3), 1-4.
- Pine, B. J., & Gilmore, J. H. (1999). The Experience Economy. Harvard Business School Press.
- Punj, G., & Stewart, D. (1983). An interaction framework of consumer decision making. Journal of Consumer Research, 10(2), 181-196.
- Rémy, E., & Gentric, M. (2009). Comment thématiser l’offre. In Rieunier, S. (Ed.), Le marketing sensoriel du point de vente (pp. 23-53). Dunod.
- Ritzer, G. (1999). Enchanting a Disenchanted World. Pine Forge Press.
- Roederer, C. (2012). Marketing et consommation expérientiels. EmS.
- Rose, L. (2009). L’affichage crée l’événement. Marketing Magazine, 11, 41-44.
- Schmitt, B. (1999). Experiential Marketing. The Free Press.
- Trinquecoste, J.-F. (1997). Marketing stratégique. In Simon, Y. & Joffre, P. (Eds.), Encyclopédie de gestion. Economica.
- Trinquecoste, J.-F. (1999). Pour une clarification théorique du lien marketing-stratégie. Recherche et Applications en Marketing, 14(1), 59-80.