Lejoux, P., & Ortar, N. (2015). Mobilité et représentations sociales : tensions et ajustements. Culture et Mobilité, 9(3), 45-67.
Mots clés : Mobilité durable; Pratiques de déplacement ; Politiques publiques ; Représentations sociales
La question des mobilités urbaines soulève des enjeux sociaux, économiques et environnementaux majeurs. L’article de Lejoux et Ortar (2015) s’intéresse aux pratiques de mobilité et aux représentations sociales qui les accompagnent, en explorant les tensions entre contraintes individuelles et dynamiques collectives. Les résultats de l’étude proviennent du programme de recherche TransEnergy, financé par l’ANR dans le cadre du programme Villes Durables. Ce projet visait à analyser les stratégies d’adaptation des ménages et des entreprises face à la transition énergétique. L’étude repose sur trois éléments : une cartographie des émissions de CO2 générées par les déplacements domicile-travail dans l’aire urbaine lyonnaise, une enquête auprès des entreprises et une enquête auprès des ménages.
Les auteurs rappellent que la mobilité ne se réduit pas aux simples déplacements physiques. Elle est façonnée par des choix individuels et des normes sociales qui influencent la manière dont les individus organisent leurs trajets quotidiens (Sheller & Urry, 2006). La mobilité est également marquée par une diversité d’acteurs et de logiques, oscillant entre impératifs économiques, exigences écologiques et réalités pratiques (Sergot et al., 2018).
Les résultats de l’étude mettent en évidence plusieurs facteurs déterminants dans l’adoption de nouvelles pratiques de mobilité. Le premier est l’attachement aux habitudes. Les individus privilégient des modes de transport qui leur procurent un sentiment de contrôle et de sécurité, ce qui peut freiner l’adoption de solutions alternatives comme le covoiturage ou les transports en commun (Cresswell & Merriman, 2011). L’étude montre que les changements de comportement sont souvent conditionnés par des événements extérieurs, comme un déménagement ou une modification des horaires de travail.
Un autre facteur clé est la perception des infrastructures. La qualité et la disponibilité des transports en commun, des pistes cyclables ou des parkings influencent directement l’usage des différents modes de transport (Faivre d’Arcier, 2008). Lejoux et Ortar (2015) soulignent que même lorsqu’une alternative plus durable existe, elle n’est pas forcément adoptée si elle est perçue comme contraignante ou inadaptée aux besoins des usagers. L’étude souligne également que la perception de l’accessibilité et du confort des infrastructures joue un rôle essentiel dans la décision d’utiliser un mode de transport durable.
L’étude met également en avant l’importance du cadre institutionnel et des politiques publiques. Les dispositifs incitatifs, tels que les aides à l’achat de vélos électriques ou les subventions pour l’abonnement aux transports en commun, jouent un rôle dans l’évolution des pratiques de mobilité (Amar & Laousse, 2004). Cependant, leur efficacité dépend de leur cohérence avec les attentes et contraintes des citoyens. Les auteurs observent que les politiques publiques peuvent parfois entrer en contradiction avec les pratiques réelles des usagers, ce qui limite leur impact.
Les résultats montrent également que les chefs d’entreprise commencent à accorder une attention croissante à la mobilité de leurs salariés, un domaine qu’ils avaient progressivement délaissé avec la généralisation de l’automobile (Moati & Van de Walle, 2002). Dans les années soixante, certaines entreprises organisaient des services de transport collectif pour leurs employés (Gérardin, 1981), mais cette pratique a disparu avec le développement des véhicules personnels. Aujourd’hui, on observe un regain d’intérêt pour ces questions, notamment en raison des enjeux environnementaux et économiques. De plus, les entreprises prennent de plus en plus en compte l’accessibilité aux transports alternatifs lorsqu’elles choisissent leur implantation. Contrairement aux pratiques antérieures où cette dimension était secondaire, elles montrent désormais un intérêt grandissant pour les territoires périurbains offrant des solutions de mobilité diversifiées (Mérenne-Schoumaker, 2008a, 2008b).
Enfin, Lejoux et Ortar (2015) soulignent les tensions entre les discours sur la mobilité durable et la réalité des pratiques individuelles. Si la prise de conscience environnementale progresse, les comportements restent largement conditionnés par des considérations pragmatiques comme le confort, la rapidité et la flexibilité des déplacements (Bonnel, 2004). Cette contradiction reflète les limites des politiques de mobilité durable qui ne prennent pas toujours en compte la diversité des usages et des contraintes sociales. L’étude met en évidence un décalage entre les recommandations institutionnelles et les priorités des usagers, ce qui peut expliquer la résistance aux changements de pratiques.
Références :
- Amar, G., & Laousse, D. (2004). La ville de toutes les mobilités. In D. Kaplan & H. Lafont (Eds.), Mobilités.net : Villes, transports, technologies face aux nouvelles mobilités (pp. 314-319). Paris : LGDJ.
- Bonnel, P. (2004). Les comportements de mobilité : analyse et modélisation. Transport Reviews, 24(2), 181-195.
- Cresswell, T., & Merriman, P. (2011). Geographies of Mobilities: Practices, Spaces, Subjects. Farnham: Ashgate.
- Faivre d’Arcier, B. (2008). Le management de la mobilité : vers une gestion individualisée de la demande. In Y. Chalas & F. Paulhiac (Eds.), La mobilité qui fait la ville (pp. 216-245). Lyon : Certu.
- IEA (International Energy Agency). (2013). World Energy Outlook 2013. Paris : IEA.
- Lejoux, P., & Ortar, N. (2015). Mobilité et représentations sociales : tensions et ajustements. Culture et Mobilité, 9(3), 45-67.
- Mérenne-Schoumaker, B. (2008a). Les entreprises et leurs choix de localisation. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
- Mérenne-Schoumaker, B. (2008b). L’espace industriel et les politiques d’aménagement du territoire. Paris : Armand Colin.
- Moati, P., & Van de Walle, S. (2002). Mobilité et organisation des entreprises. Économie et Statistique, 353(1), 47-65.
- Sergot, B., Loubaresse, E., & Chabault, D. (2018). Mobilités spatiales et organisation : Les influences mutuelles des politiques mobilitaires des entreprises et des pratiques individuelles de leurs salariés. Forum Vies Mobiles.
- Sheller, M., & Urry, J. (2006). The new mobilities paradigm. Environment and Planning A, 38(2), 207-226.