Les émotions ressenties dans un point de vente : Proposition d’une échelle de mesure

Lichtlé, M.-C., & Plichon, V. (2014). Les émotions ressenties dans un point de vente : Proposition d’une échelle de mesure. Recherche et Applications en Marketing, 29(1), 3-26.

Mots-clés : Émotions, point de vente, marketing sensoriel, expérience client, échelle de mesure, atmosphère commerciale.

L’article de Lichtlé et Plichon (2014) explore la nature des émotions ressenties par les consommateurs en magasin et propose une échelle de mesure adaptée au contexte de la distribution. Les auteures partent du constat que les émotions jouent un rôle central dans l’expérience d’achat, influençant aussi bien la satisfaction que les comportements des clients en magasin. Cependant, les instruments de mesure existants, issus principalement de la psychologie, ne sont pas toujours adaptés au contexte de la distribution.

L’objectif de cette étude est donc de :

  1. Identifier les émotions spécifiques ressenties par les consommateurs en magasin.
  2. Élaborer une échelle de mesure permettant de quantifier ces émotions avec fiabilité.
  3. Tester cette échelle à travers des études qualitatives et quantitatives.

Développement

  • Définition des émotions

Les émotions sont définies comme des réactions affectives immédiates, déclenchées par un stimulus externe ou interne, influençant les pensées, les comportements et les décisions. Elles se distinguent des humeurs par leur intensité plus forte et leur durée plus courte (Barsade & Gibson, 2007).

Dans un contexte collectif, les émotions participent à la construction du climat émotionnel d’un groupe, influençant ainsi les interactions sociales et les comportements collectifs (Smith & Mackie, 2015 ; De Rivera & Páez, 2007). Selon Rimé (2007, 2009), les émotions collectives, ou expériences émotionnelles collectives, émergent par un processus de contagion émotionnelle (Hatfield et al., 1992) ou en réponse à des normes sociales partagées (Von Scheve & Ismer, 2013).

Dans le domaine du marketing et des points de vente, les émotions jouent un rôle fondamental dans l’expérience client, influençant la satisfaction, la fidélité et le comportement d’achat (Lichtlé & Plichon, 2014).

  • Le rôle central des émotions dans l’expérience en magasin

Les auteures rappellent que l’expérience en magasin est influencée par des éléments sensoriels et environnementaux (musique, odeur, éclairage, disposition des espaces), qui jouent un rôle clé dans l’activation des émotions (Bitner, 1992 ; Filser, 2001). Elles s’appuient sur la littérature en psychologie du consommateur pour montrer que les émotions ne sont pas seulement des réponses immédiates mais qu’elles influencent aussi les comportements post-achat (Holbrook & Hirschman, 1982 ; Menon & Dubé, 2007).

Elles soulignent que les recherches en marketing ont souvent utilisé des modèles d’émotions générales, comme les échelles de Mehrabian et Russell (1974) ou Watson et Tellegen (1985), qui sont pertinentes mais peu adaptées aux spécificités du point de vente.

  • Développement d’une échelle de mesure adaptée

Les auteures ont construit leur échelle de mesure en suivant un processus en plusieurs étapes :

  1. Phase exploratoire :
    • Entretiens qualitatifs avec 84 consommateurs pour identifier les émotions spontanément ressenties en magasin.
    • Analyse des réponses pour regrouper les émotions en catégories homogènes.
  1. Construction d’un premier modèle :
    • Regroupement des émotions en six dimensions principales.
    • Développement d’un questionnaire basé sur ces dimensions.
  1. Validation empirique :
    • Deux études quantitatives menées sur un échantillon de plus de 500 consommateurs pour tester la validité et la fiabilité de l’échelle.
    • Analyse factorielle confirmatoire pour vérifier la structure du modèle.

Les résultats permettent d’identifier six grandes catégories d’émotions ressenties en magasin :

  • Plénitude : sensation de bien-être et d’harmonie avec l’environnement du magasin.
  • Évasion : impression d’être transporté dans un univers différent, coupé du quotidien.
  • Nervosité : sentiment d’agitation, de frustration ou d’irritabilité.
  • Plaisir : satisfaction et excitation positive liées à l’acte d’achat.
  • Détente : sensation de relaxation et de confort en magasin.
  • Oppression : sentiment de malaise ou d’enfermement dans un espace commercial.

L’analyse statistique confirme que cette échelle est robuste et applicable aux contextes de la distribution, permettant une évaluation précise des émotions vécues en magasin.

  • Implications pour la gestion des points de vente

L’étude de Lichtlé et Plichon (2014) propose plusieurs recommandations stratégiques pour les retailers :

  1. Optimisation de l’ambiance sensorielle
    • Adapter l’éclairage, la musique et les senteurs pour favoriser des émotions positives et éviter les ressentis négatifs comme l’oppression ou la nervosité.
    • Créer des espaces de relaxation ou des zones immersives pour stimuler l’évasion et la plénitude.
  1. Personnalisation de l’expérience client
    • Identifier les émotions dominantes des clients pour proposer des parcours d’achat adaptés.
    • Former les équipes de vente à détecter et répondre aux émotions des consommateurs pour améliorer l’expérience en magasin.
  1. Impact sur la fidélisation et le comportement d’achat
    • Les émotions ressenties influencent la durée de visite, l’engagement et les intentions de retour.
    • Un climat émotionnel positif peut favoriser la fidélité à l’enseigne et encourager le bouche-à-oreille positif.

Conclusion

Lichtlé et Plichon (2014) apportent une contribution essentielle en proposant une échelle de mesure des émotions adaptée au contexte du point de vente. Leur étude met en évidence que les émotions ressenties en magasin ont un impact significatif sur le comportement des consommateurs et doivent être prises en compte dans la gestion des espaces commerciaux.

Cette recherche ouvre des perspectives intéressantes pour les stratégies de retail et de marketing expérientiel, en soulignant l’importance de l’ambiance en magasin pour maximiser les émotions positives et minimiser les ressentis négatifs.

Références bibliographiques

Bitner, M. J. (1992). Servicescapes: The impact of physical surroundings on customers and employees. Journal of Marketing, 56(2), 57–71.

Filser, M. (2001). Le marketing de la production d’expérience : Statut théorique et implications managériales. Décisions Marketing, 23(1), 13-22.

Holbrook, M. B., & Hirschman, E. C. (1982). The experiential aspects of consumption: Consumer fantasies, feelings, and fun. Journal of Consumer Research, 9(2), 132-140.

Menon, K., & Dubé, L. (2007). The effect of emotional transitions on customer satisfaction. Journal of Service Research, 10(3), 233-246.

Barsade, S. G., & Gibson, D. E. (2007). Why does affect matter in organizations? Academy of Management Perspectives, 21(1), 36-59.

De Rivera, J., & Páez, D. (2007). Emotional climates, human security, and cultures of peace. Journal of Social Issues, 63(2), 233-253.

Hatfield, E., Cacioppo, J. T., & Rapson, R. L. (1992). Primitive emotional contagion. Review of Personality and Social Psychology, 14(1), 151-177.

Mehrabian, A., & Russell, J. A. (1974). An approach to environmental psychology. MIT Press.

Rimé, B. (2007). The social sharing of emotion as an interface between individual and collective processes. Journal of Social Issues, 63(2), 307-322.

Smith, E. R., & Mackie, D. M. (2015). Dynamics of group-based emotions: Insights from intergroup emotions theory. Emotion Review, 7(4), 349-354.

Von Scheve, C., & Ismer, S. (2013). Towards a theory of collective emotions. Emotion Review, 5(4), 406-413.

Watson, D., & Tellegen, A. (1985). Toward a consensual structure of mood. Psychological Bulletin, 98(2), 219-235.