Cailly, L., Huyghe, M., & Oppenchaim, N. (2020). Les trajectoires mobilitaires : une notion clef pour penser et accompagner les changements de modes de déplacements ? Flux, 121, 52-66. https://doi.org/10.3917/flux1.121.0052
Mots clés : trajectoire mobilitaire; évolution des habitudes de déplacement; changements de mobilité; facteurs d’influence; alternatives
L’articl; e de Cailly, Huyghe et Oppenchaim (2020) explore l’évolution des habitudes de déplacement des individus au fil du temps. Les auteurs introduisent le concept de trajectoire mobilitaire, qui permet d’analyser ces changements non comme des ruptures isolées, mais comme un processus continu influencé par divers événements de la vie. Cette approche s’inspire de la notion de trajectoire résidentielle, qui relie les choix de logement aux évolutions professionnelles et familiales (Authier, 2010).
Pour mieux comprendre ces évolutions, les auteurs s’appuient sur une modélisation graphique illustrant comment les stratégies de mobilité évoluent au cours d’une vie. Cette étude repose sur deux recherches complémentaires : le programme MOUR, qui suit les changements de mobilité en temps réel (Huyghe, 2015), et le programme MODALTER, qui analyse ces changements de manière rétrospective via des entretiens biographiques (Oppenchaim & al., 2017).
Les habitudes de déplacement ne sont pas figées, elles évoluent en fonction d’événements marquants comme un déménagement, un changement d’emploi ou l’arrivée d’un enfant (Lanzendorf, 2010 ; Rau & Manton, 2016). De plus, les expériences vécues dès l’enfance influencent souvent les choix de mobilité à l’âge adulte (Baslington, 2008). Ce phénomène, appelé mémoire modale, signifie que des expériences positives avec certains modes de transport facilitent leur adoption plus tard (Vincent-Geslin, 2010). Toutefois, ce n’est pas automatique : certaines personnes peuvent abandonner ces pratiques si elles ne correspondent plus à leur mode de vie actuel.
L’étude distingue deux types de changements dans les habitudes de mobilité : tout d’abord, les changements volontaires, liés à une envie personnelle d’évoluer, ensuite les changements subis, provoqués par des événements extérieurs comme des grèves, des travaux ou un accident. Ces changements sont déclenchés par trois principaux facteurs (Rau & Manton, 2016 ; Greene & Rau, 2016 ; Schoenduwe et al., 2015) :
- L’insatisfaction vis-à-vis du mode de transport actuel (fatigue, coûts élevés, incohérence avec ses valeurs).
- Les opportunités, comme l’apparition d’une nouvelle offre de transport, la suppression d’un parking ou la découverte d’un mode alternatif via un proche (Deleuil, Barbey & Sintès, 2017).
- Les perturbations des habitudes, qu’elles soient mineures (travaux, grèves) ou majeures (déménagement, changement de travail).
L’étude de Cailly, Huyghe et Oppenchaim (2020) repose sur des entretiens biographiques réalisés auprès d’habitants de zones rurales et périurbaines. Les auteurs identifient trois grandes dynamiques qui expliquent l’évolution des pratiques de mobilité :
- Un mélange d’habitudes de long terme et d’événements ponctuels qui influencent les choix de transport (Grossetti, 2006).
- Un processus d’expérimentation, où les individus testent différents modes avant de les adopter ou de revenir à leurs anciennes habitudes.
- Un changement progressif et réversible, contrairement à l’idée qu’une modification de mobilité est définitive.
Les résultats montrent que les trajectoires mobilitaires sont diverses (Cailly et al., 2020). Certains individus modifient temporairement leurs habitudes avant de revenir à leurs anciens modes de transport, tandis que d’autres adoptent progressivement des alternatives durables. Cependant, ces changements ne vont pas toujours dans le sens d’une mobilité plus écologique. Parfois, les individus reviennent à l’usage de la voiture lorsque les alternatives testées ne répondent pas à leurs attentes (Huyghe, 2015).
Enfin, les auteurs soulignent que la réussite d’un changement de mobilité repose souvent sur la disponibilité de ressources adaptées (Cailly et al., 2020). Ces ressources peuvent être matérielles (comme la présence de parkings à vélos ou de douches sur le lieu de travail) ou humaines (comme un collègue proposant du covoiturage). Leur absence peut empêcher l’adoption durable de nouvelles pratiques de déplacement.
Références
- Authier, J.-Y. (2010). État des lieux sur les trajectoires résidentielles. PUCA.
- Baslington, H. (2008). Travel socialization: A social theory of travel mode behavior. International Journal of Sustainable Transportation, 2(2), 91-114.
- Cailly, L., Huyghe, M., & Oppenchaim, N. (2020). Les trajectoires mobilitaires : une notion clef pour penser et accompagner les changements de modes de déplacements ? Flux, 121, 52-66.
- Deleuil, J., Barbey, E., & Sintès, A. (2017). Le dévoiturage ou la ville sans (sa) voiture : Mobilités plurielles, services numériques et vie de quartier. Flux, 2017/2(108), 80-87.
- Greene, M., & Rau, H. (2016). Moving across the life course: A biographic approach to researching dynamics of everyday mobility practices. Journal of Consumer Culture, 18, 60-82.
- Grossetti, M. (2006). L’imprévisibilité dans les parcours sociaux. Cahiers internationaux de sociologie, 120, 5-28.
- Huyghe, M. (2015). Habiter les territoires ruraux – Comprendre les dynamiques spatiales et sociales à l’œuvre, évaluer les perspectives d’évolution des pratiques de mobilité des ménages (Thèse de doctorat). Université de Tours.
- Lanzendorf, M. (2010). Key events and their effect on mobility biographies: The case of childbirth. International Journal of Sustainable Transportation, 4(5), 272-292.
- Oppenchaim, N., Fouquet, J.-P., & Pourtau, B. (2017). Les changements de modes de déplacement dans le périurbain. EspacesTemps.net. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01705478/document
- Rau, H., & Manton, R. (2016). Life events and mobility milestones: Advances in mobility biography theory and research. Journal of Transport Geography, 52, 51-60.
- Schoenduwe, R., Mueller, M. G., Peters, A., & Lanzendorf, M. (2015). Analysing mobility biographies with the life course calendar: A retrospective survey methodology for longitudinal data collection. Journal of Transport Geography.
- Vincent-Geslin, S. (2010). La mémoire modale : une approche cognitive et expérientielle de la mobilité quotidienne. Revue Mobilités, 5, 25-42.