Que recherchent les cadres chargés du recrutement de la génération Y? Une analyse exploratoire

Fiche de lecture  :

Référence au format APA :

Dalmas 1, M. (2016). Que recherchent les cadres chargés du recrutement de la génération Y? Une analyse exploratoire. Revue management et avenir, (1), 51-76.

Mots clés de l’article :

Jeunesse et emploi, génération Y, chômage en France, représentations sociales, intégration professionnelle

Synthèse :

Préambule :

En France, les jeunes sont la catégorie socioprofessionnelle la plus affectée par les crises économiques, avec un taux de chômage élevé, des emplois de courte durée et des rémunérations plus faibles. Ce taux a augmenté de 17,9% à 24,2% entre 2008 et 2010. Cette situation est due à plusieurs facteurs et cette étude explore si la connaissance supposée des attributs associés à la génération Y peut nuire à leur intégration professionnelle.

  1. Situation des jeunes face à l’insertion en entreprise et attributs portés par le concept de « génération Y »
    • Difficulté de l’intégration des jeunes en entreprise en France

En France, au 4ème trimestre 2014, il y avait 2 877 000 chômeurs en métropole. Le taux de chômage des 15-24 ans était de 23,8% à la fin octobre 2014, le plus élevé des catégories prises en compte par le Bureau International du Travail. En Europe, le taux de chômage des 15-24 ans a augmenté depuis 2008, excepté en Allemagne. Les pires scores étaient enregistrés en Espagne (52%) suivi de l’Italie (42,2%) et de la France (23,8%). Les facteurs qui expliquent cette situation incluent les effets de la composition et les effets liés à la jeunesse, tels que la congestion du marché du travail, l’incertitude de l’adéquation des compétences, l’ancienneté sur le poste et les chocs subis par les entreprises. Pour les jeunes issus de la diversité, la difficulté d’accéder à l’emploi est due aux attentes spécifiques et peu connues des entreprises et à leur faible capital scolaire initial.

  • La notion controversée de « génération Y » : selon quels fondements théoriques ?

Selon Attias-Donfut, la notion de génération Y peut être abordée selon trois approches : ethnologique, démographique et sociologique. L’approche ethnologique considère la génération comme une filiation, l’approche démographique la considère comme une cohorte d’individus influencés par des conditions historiques et culturelles spécifiques, et l’approche sociologique la considère comme une durée d’une vingtaine d’années de maturation sociale. Certaines études montrent peu de différences entre les générations X, Y et des baby-boomers et remettent en question l’existence même de la génération Y. D’autres études montrent quelques caractéristiques distinctives pour les individus de la génération Y, comme le besoin d’accomplissement, la volonté de relier vie professionnelle et vie privée, la recherche de pragmatisme et le besoin de changer régulièrement d’environnement.

  • Génération « Y » : représentation sociale, stéréotypes et opinions

L’article examine l’impact des représentations sociales des cadres sur leur attitude professionnelle et leur intention de recruter des juniors de la génération Y. Les représentations sociales sont définies par Moscovici (1976) comme comprenant des opinions, attitudes et stéréotypes, et par Doise (1985) comme des principes fondamentaux liés à des prises de position dans les rapports sociaux. Les stéréotypes relatifs à la génération Y seront étudiés en premier et ensuite des opinions seront collectées auprès de responsables des ressources humaines. L’étude propose d’examiner l’impact de ces représentations sur l’intention de recruter des jeunes diplômés en se basant sur le questionnaire diffusé en ligne. Les étapes du design de la recherche incluent la collecte de données sur les caractéristiques stéréotypées de la génération Y et la formulation de l’item de questionnaire.

  • Phase de recueil des caractéristiques associées à la génération « Y »

La littérature sur la génération Y est diverse et ces caractéristiques peuvent être associées à des attentes en termes de pratiques managériales, d’organisations et de socialisation. La génération Y attend des objectifs clairs et des commentaires réguliers sur les performances professionnelles, ainsi que de la reconnaissance financière. Ils sont indépendants, innovants et technophiles. Ils peuvent effectuer plusieurs tâches en même temps, mais peuvent être peu loyaux envers l’entreprise et peu confiants envers l’autorité. Cependant, ils restent attachés à l’entreprise s’ils peuvent y trouver des opportunités de carrière. Ils cherchent à donner un sens personnel à leur carrière, ainsi qu’à équilibrer leur vie personnelle et professionnelle, avec un sens du “juste” et du “bien”. Ils ont l’habitude de travailler en équipe depuis leur jeunesse, sont socialement actifs, orientés vers le travail d’équipe et acceptent la diversité des profils.

  • Elaboration de propositions communément admises vis-à-vis de la génération « Y »

Un focus group a été formé pour étudier l’impact des stéréotypes sur le recrutement des jeunes, en se concentrant sur les connaissances supposées sur la “génération Y”. Les propositions ont été formulées par 15 membres de l’ A.N.D.R.H. et ont été testées auprès des recruteurs et des jeunes. L’analyse des résultats montre que certains stéréotypes sur les jeunes correspondaient à ceux trouvés dans la littérature, tandis que d’autres correspondaient aux attentes professionnelles des cadres. Les items restants étaient relatifs à la motivation et à l’engagement au travail.

  1. Perceptions des cadres concernant la génération diplômée
    • Caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon testé

Cet article analyse les résultats d’une étude sur les attitudes des cadres de la fonction RH envers l’emploi des jeunes, en fonction de leur connaissance supposée de la génération Y. L’échantillon est constitué de 235 réponses, obtenues grâce à un questionnaire en ligne auprès des membres de l’association professionnelle A.N.D.R.H. Les 204 réponses retenues ont été analysées avec S.P.S.S. La plupart des répondants sont âgés de 36 à 55 ans et travaillent pour des entreprises de 250 employés ou plus.

2.2.1. Le test t pour les deux échantillons indépendants

Le test t montre que seule une des 17 propositions sur les stéréotypes concernant les jeunes diplômés de 18-25 ans a une influence sur l’intention de les recruter. Cette proposition est que les jeunes respectent l’autorité hiérarchique. Les autres propositions, censées refléter les stéréotypes de la génération Y, n’ont pas d’impact sur l’intention de recruter. Le résultat montre donc que les cadres sont sensibles à ce seul indicateur pour recruter des diplômés débutants.

2.2.2. Analyse factorielle exploratoire des données pour les deux groupes de

Répondants

Une analyse en composantes principales a été effectuée pour deux groupes de répondants : les cadres voulant recruter des jeunes de la génération Y (N = 117) et les cadres ne voulant pas les recruter (N = 87). Lors de l’analyse factorielle exploratoire, des rotations ont été effectuées pour déterminer une structure factorielle claire avec une fiabilité estimée par l’alpha de Cronbach. Pour le premier groupe, une solution factorielle à quatre facteurs a été obtenue après la suppression de certains items en raison de la multicollinéarité. Les facteurs montrés sont : les caractéristiques liées aux conceptions du travail, les modalités d’implication au travail, l’adaptation aux codes et règles de fonctionnement, et un facteur non retenu. Pour le deuxième groupe, une solution factorielle à quatre facteurs a été obtenue après la suppression de certains items. Les facteurs montrés sont : les caractéristiques liées aux conceptions du travail, les codes et règles de fonctionnement, l’adaptation aux modalités d’implication au travail, et un facteur non retenu.

2.2.3. Interprétation de l’analyse factorielle exploratoire : deux profils de recruteurs émergent

Les résultats du test montrent que les cadres de R.H ne sont pas influencés par les stéréotypes de la génération Y, mais deux profils de perception se dégagent. Les cadres qui veulent recruter les jeunes considèrent cette génération comme capable de s’impliquer dans leur vie professionnelle, multitâche, innovante et respectueuse des codes et de la hiérarchie. Les cadres qui ne veulent pas recruter les jeunes considèrent cette génération comme difficile à motiver durablement, avec des intérêts personnels multiples et une absence de motivation durable.

2.2.4. Perspectives institutionnelles et intégration de la génération Y

Une étude a été menée en 2006 sur les pratiques d’intégration des jeunes salariés dans des entreprises françaises. L’étude a identifié trois pratiques institutionnelles, à savoir: (1) les entreprises institutionnelles qui planifient le développement de l’intégration des nouveaux entrants avec un soutien, un conseil, une reconnaissance et une formation standardisée; (2) les entreprises empiriques qui n’ont pas de planification spécifique pour l’intégration, mais développent un esprit de groupe parmi les jeunes recrues, avec une formation individualisée orientée vers le travail; et (3) les entreprises attentistes qui n’ont pas de pratiques de planification et laissent les nouveaux entrants apprendre par observation auprès des anciens. Les résultats semblent montrer que les entreprises ayant des pratiques institutionnelles ont un niveau d’intégration plus élevé que les autres.

Conclusion

L’article examine l’impact des stéréotypes sur la génération Y sur l’intention des recruteurs d’embaucher des jeunes diplômés. Les stéréotypes ont influencé les attitudes des responsables RH lors du processus de recrutement. Les résultats montrent que les recruteurs sont peu sensibles aux caractéristiques associées à la génération Y, mais certains sont prudents quant à leur capacité à s’engager et à travailler en équipe.

 

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