Génération Y, Génération postmoderne? Les enjeux pour la GRH

Fiche de lecture  :

Référence au format APA :

Dalmas, M., & Lima, M. (2016). Génération Y, Génération postmoderne? Les enjeux pour la GRH. Management Avenir90(8), 151-174.

Mots clés de l’article :

Génération Y, valeurs et attitudes, travail et relations professionnelles, postmodernisme, gestion des ressources humaines.

Synthèse :

Préambule :

  1. Génération Y et valeurs associées

La génération Y est considérée comme technophile et capable de gérer plusieurs tâches à la fois, mais également peu loyale envers les organisations et en quête d’un bon climat relationnel. Cependant, les valeurs de la génération Y semblent similaires à celles des nouvelles organisations de travail découlant des changements technologiques, du rapport au savoir et à la hiérarchie. La compréhension de ces valeurs est considérée comme un enjeu majeur pour la gestion des ressources humaines à venir. L’article examine si la génération Y est porteuse de préférences postmodernes, ce qui permettrait d’anticiper l’émergence de nouvelles attitudes professionnelles. L’article se compose de quatre parties : la description des valeurs de la génération Y en relation avec un modèle, l’existence de valeurs postmodernes, la méthodologie d’analyse et les implications managériales possibles.

  1. Postmodernisme et besoins fondamentaux de la génération Y

La postmodernité est considérée comme l’ère des réseaux et des tribus, qui remplacent les groupes monolithiques et causent une fragmentation sociale. Les valeurs établies, la supériorité culturelle occidentale, la foi en la croissance économique et la raison sont en train de disparaître. Certaines personnes considèrent le postmodernisme comme mort, mais d’autres considèrent qu’il est toujours porté par un idéal désirable de dépassement de la modernité vers un monde plus humain, “tribal” et libre. Les caractéristiques du postmodernisme incluent les relations avec le temps et l’espace influencées par les TIC (Technologies d’Information et de Communication), les relations avec soi-même, celles basées sur l’altruisme et la fragmentation des identités et les relations avec la connaissance basées sur le doute et la méfiance envers les grands récits. Les organisations modernes ne répondent pas à ces caractéristiques et sont encore influencées par les principes modernes de structures hiérarchiques et de systèmes de contrôle. Trois modèles d’organisation, tels que les Entreprises Libérées, les Organisations Agiles et les Start-ups, semblent plus proches de l’idéal postmoderne.

  • Facteurs Motivationnels selon le modèle de Schwartz

La génération Y préfère l’hédonisme et la stimulation à la conformité et à la tradition. Les nouvelles technologies de communication favorisent la recherche de liberté et de plaisir, plutôt que de respecter les règles et les traditions. Les Entreprises Libérées, qui suivent la logique du “bonheur au travail”, sont considérées comme adaptées aux valeurs prédominantes de cette génération. La génération Y préfère également l’autonomie à la sécurité, en recherchant du sens et de l’épanouissement au travail. L’autonomie implique une faible hiérarchie, une grande confiance et une certaine capacité de décision. Les Organisations Agiles et les Entreprises 2.0 sont considérées comme plus adaptées à ces besoins à partir d’une certaine taille. Enfin, la génération Y préfère l’altruisme au développement personnel, mais le besoin d’accomplissement individuel et l’opportunisme peuvent entraîner des attitudes individualistes. Les Entreprises Libérées pourraient être plus adaptées à cette génération, selon le modèle de Schwarz, mais les Organisations Agiles et les Entreprises 2.0 pourraient également attirer cette génération.

  • Facteurs d’Affinité selon les valeurs postmodernes de Silva

La proposition D affirme que la génération Y cherche un changement permanent en termes de temps et d’espace et que les organisations agiles et les entreprises libérées sont mieux adaptées pour les attirer et les fidéliser. La proposition E soutient que la génération Y accorde plus d’importance au groupe plutôt qu’à l’individualisme et que cela peut être en contradiction avec les comportements opportunistes. La proposition F suggère que la génération Y cherche de nouveaux modèles sociaux et est habituée à une fragmentation hypertextuelle de la connaissance, ce qui pourrait la rendre attractives pour les entreprises 2.0.

  1. Méthodologie

Le but de l’étude est d’explorer la correspondance entre les valeurs de la génération Y et les attitudes et valeurs associées au postmodernisme. Pour ce faire, 244 étudiants en commerce et ingénierie ont été interrogés à l’aide de l’échelle des 56 valeurs universelles de Schwartz et de propositions relatives au temps et au passé, au rapport à soi, aux autres et au monde et au rapport à la connaissance. Une échelle d’accord relative a également été soumise pour mesurer l’attitude des répondants vis-à-vis du postmodernisme.

  1. Résultats et discussion
    • Résultats concernant les préférences des valeurs selon le modèle de Schwartz

D’après l’échelle des valeurs de Schwartz (1994), les critères de Cattell ont identifié quatre facteurs sur 12. Les quatre facteurs sont nommés qualité de vie personnelle (F1), respect des règles (F2), recherche de nouveauté (F3), et bienveillance générale (F4). Les moyennes montrent une importance accordée à la qualité de vie (F1) et à la bienveillance (F4), une importance réelle à la recherche de nouveauté (F3), et une importance assez faible au respect des règles (F2). L’analyse de ces facteurs confirme la proposition selon laquelle la génération Y privilégie l’hédonisme et la stimulation à la conformité et à la tradition. L’analyse du facteur 4 confirme également une autre hypothèse selon laquelle la génération Y privilégie l’universalisme à l’accomplissement personnel. La bienveillance et l’intérêt pour l’environnement sont considérés comme importants pour l’échantillon étudié. La dernière hypothèse n’a pas pu être confirmée ou infirmée.

  • Résultats concernant l’attitude vis-à-vis du modèle du postmodernisme selon Silva

Les résultats concernant les attitudes liées au postmodernisme montrent que la génération Y recherche le changement permanent et de nouveaux modèles sociaux, ce qui est confirmé par les données. Cependant, l’individualisme ressort de l’analyse d’un des facteurs, ce qui semble infirmer la proposition selon laquelle la génération Y ne valorise pas l’individualisme et que le groupe est plus important que l’individu.

  • Discussion des résultats

En résumé, la génération Y semble être sensible à l’ouverture au changement, même si la dimension de l’autonomie n’a pas été mise en évidence dans cet échantillon. Cependant, la stimulation et l’hédonisme sont deux caractéristiques claires de cette génération. De plus, elle semble préoccupée par le développement durable, mais reste individualiste dans sa relation avec les autres. L’analyse des propositions postmodernes apporte une compréhension importante de la génération Y qui cherche de nouveaux modèles sociaux et de gestion de l’incertitude. Les entreprises peuvent y répondre en apportant des conditions de travail motivantes et un sens plus profond à travers de nouvelles pratiques de gestion. Les résultats conduiront à développer des recommandations dans la prochaine section.

Conclusion :

Les pratiques RH des organisations traditionnelles ne sont plus adaptées pour attirer, développer et fidéliser les talents de la génération Y. Pour cela, les organisations pourraient s’inspirer des meilleures pratiques des organisations déjà identifiées, à la frontière des paradigmes hypermodernes et postmodernes. Les résultats empiriques montrent que pour attirer et fidéliser les talents, les entreprises pourraient adopter des pratiques de l’Entreprise Libérée (style managérial de type “laissez-faire” basé sur la confiance, la transparence, la culture du résultat et le droit à l’erreur), et des pratiques des Organisations Agiles (culture du changement, structures extrêmement flexibles et travail à distance). Enfin, les pratiques des Entreprises 2.0 pourraient être utilisées pour développer la culture des réseaux d’apprentissage, les liens faibles et les opportunités émergentes. Une approche hybride reprenant les meilleures pratiques de chacun des modèles serait une piste pour la réussite professionnelle des jeunes talents.

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