La culpabilité au travail des professionnels des ressources humaines

Berthe, B. & Chédotal, C. (2021). La culpabilité au travail des professionnels des ressources humaines. Recherches en Sciences de Gestion, 146, 235-264. https://doi-org.devinci.idm.oclc.org/10.3917/resg.146.0235

 

Mots clés : culpabilité, émotions au travail, professionnel des ressources humaines

 

A travers cet article, les auteurs ont cherché à nous montrer l’importance de l’émotion qu’est la culpabilité pour comprendre le rôle des employés des ressources humaines. L’article nous expliquent la fréquence, les motifs, l’intensité, les situations qui déclenchent de la culpabilité au travail et ses effets sur les collaborateurs.

Cette étude nous permet, d’une part, de souligner les impacts positifs de la culpabilité pour la performance des organisations et, d’une autre part, d’identifier ses effets négatifs en termes de risques psycho-sociaux.

Pour finir, les auteurs nous proposent des recommandations managériales permettant d’améliorer les performances d’une structure.

 

Ils existent différents conséquences en fonction des niveaux de culpabilité au travail :

  • Au niveau individuel, « la culpabilité peut avoir des impacts positives en motivant des comportements qui visent à compenser les actions manquantes précédentes » (Ilies et al., 2013, p.1057). Elle apporte une motivation supérieure pour dépasser ses erreurs (Bohns et Flynn, 2013). En comparaison des aux autres émotions, la culpabilité conduit davantage à des comportements réfléchis et prudents. (Motro et al, 2018).
  • Au niveau d’un groupe, la culpabilité crée des attentes auxquelles l’individu devrait se soumettre afin de ne pas pénaliser son équipe. Ainsi, ne pas fournir cet effort provoquerait de la culpabilité à l’égard du groupe (Payne et Cooper, 2001). De plus, la culpabilité amoindrit les comportements égoïstes qui peuvent nuire aux autres (Motro et al, 2018).

 

Enfin, dans le cadre professionnel, la culpabilité peut conduire à réduire la triche dans les organisations, les comportements non éthiques, à corriger ses erreurs et à progresser là où il y a des manques (Bohns et Flynn, 2013), (Motro et al, 2018) et à limiter la présence d’opportunistes (Petit, 2015).

Cependant celle-ci peut également avoir des conséquences négatives. Elle est à l’origine de désordres psychiques (Hesnard, 1949) et peut aussi être nuisible quand elle devient trop présente (Engel et Ferguson, 1992). La culpabilité provoque une gêne chez l’employé qui commet des erreurs et peut avoir un « pouvoir destructeur » (Carni et al., 2013, p.333).

 

Nous allons à présent voire les résultats d’une étude quantitative permettant de mesurer les émotions et particulièrement la culpabilité ressentie par les professionnels des RH dans le cadre de leurs missions et de leurs postes et d’identifier les éléments déclencheurs et les effets de cette émotion.

 

Les résultats sont les suivants :

  • La culpabilité est la troisième émotion négative la plus ressentie (après la colère et la peur) par les professionnels des ressources humaines interrogés. En termes de fréquence, la culpabilité est une émotion assez courante : 47,1% de l’échantillon éprouvent de la culpabilité au moins une fois par semaine. Enfin, 75,3% des répondants considèrent que la culpabilité qu’ils ressentent au travail a évolué au fil du temps. Cette évolution est, selon eux, principalement due aux échanges avec les collègues, à l’expérience ou à la réflexion personnelle.
  • Les motifs génèrent une culpabilité différente selon le poste occupé : les assistants RH ressentent plus de culpabilité si leur travail est mal fait que les DRH/RRH. Les assistants RH ressentent plus de culpabilité également s’ils pensent ne pas avoir la compétence attendue que les RRH. En revanche, les RRH ressentent plus de culpabilité que les assistants RH quant à l’impact de leur travail sur leur vie privée
  • Enfin, le sexe a également un impact car les femmes interrogées se sentent plus souvent coupables que les hommes si leur travail est mal fait, si elles sont absentes, si elles n’ont pas adopté la bonne attitude ou si elles n’ont pas le temps de finir leur travail.

 

Pour conclure, cet article nous précise les impacts positifs de la culpabilité sur le travail des professionnels des RH. Concrètement, les trois effets principaux de la culpabilité ressentie par les ces derniers sont de travailler davantage, d’améliorer la qualité du travail et de se remettre en cause.

Enfin, cette étude identifie également le profil des employés RH qui se distinguent par un ressenti de culpabilité qui influence favorablement leur travail, autrement dit les assistants RH.

 

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