Les stratégies d’internationalisation en assurances

Nicolas DesombreDenis DuverneAmélie de Montchalin (2017), Les stratégies d’internationalisation en assurances, Revue d’économie financière, (N° 126), pages 51 à 64 https://doi.org/10.3917/ecofi.126.0051

 

Mots clés : Stratégies, Internationalisation, Assurances

 

Les grandes compagnies d’assurance sont confrontées à une multitude de défis qui appellent à une transformation profonde de leurs organisations, leurs ambitions et leurs modes de fonctionnement. Alors que les grands assureurs européens ont été dès le début des années 1980 les pionniers de la dynamique d’internationalisation à travers de nombreuses acquisitions transfrontalières au niveau mondial, l’évolution de leur environnement les contraint à s’interroger sur leur « raison d’être » à l’international. Les stratégies d’internationalisation depuis trente ans sont restées guidées par l’expansion géographique plus que par une convergence entre les produits vendus, réduisant ainsi les économies d’échelle potentielles. La régulation financière et les conditions de marchés, ainsi que les ruptures technologiques, poussent aujourd’hui les compagnies d’assurance à se recentrer sur des marchés stables et offrent de la visibilité économique et politique. Les exigences de rentabilité et de cohérence stratégique sont actuellement fortes et appellent à l’optimisation de la présence internationale plutôt qu’à son expansion foisonnante.

 

Développement:

Suite à la sortie de la crise de 2008, es assureurs doivent transformer leur offre de produits d’assurance vie et d’épargne prévoyance car leur capacité à fournir conjointement liquidité, sécurité et rendement a été fortement réduite dans un environnement de taux d’intérêt à long terme nuls ou négatifs. Dans le même temps, un certain nombre d’assureurs vie cherchent à se séparer de leurs portefeuilles.

Dans cet article, nous allons parler de l’internationalisation dans le secteur des assurances.

Après avoir proposé, dans un premier temps les grandes tendances d’internationalisation du secteur de l’assurance, dans un second temps, on aborde la quête de croissance profitable et durable, ensuite pour finir, on abordera les facteurs de succès à l’internationalisation des assureurs.

  1. Le premier défi est celui créé par l’environnement économique et financier, avec des marchés actions volatils, à la performance faible en moyenne depuis la sortie poussive de la crise de 2008, et surtout des taux d’intérêt nominaux à long terme historiquement bas.
  2. Le second défi est celui de la révolution numérique : big datablockchain et digitalisation. L’assurance moderne a été longtemps dépendante de données historiques, statistiques et agrégées et a désormais accès en temps réel à des données, comportementales et personnalisées, qui lui permettent de définir des nouveaux produits d’assurance et services.
  3. Le troisième défi est celui de l’évolution des comportements et des objectifs des clients et des collaborateurs face à l’assurance. Traditionnellement, les assurés demandaient à leur assureur la garantie d’une protection financière face à des chocs ou des événements tels que prévus dans le contrat initial scellant leur relation mutuelle.
  4. le quatrième défi est celui de la complexité grandissante de la réglementation assurantielle, nationale et internationale. Sur le volet financier, la mise en œuvre du nouveau cadre Solvabilité II, en janvier 2016, en Europe crée un cadre unifié de gestion économique des grands groupes d’assurance, notamment grâce à l’établissement de modèles internes.

L’internationalisation de l’assurance s’est réalisée à travers la création d’acteurs globaux « multidomestiques » plutôt que par la vente de produits d’assurances « uniformes » au niveau mondial.

La digitalisation de l’économie et les nouvelles habitudes d’achat des clients (« en ligne » plutôt que par des agents ou des courtiers), ainsi que les encouragements réglementaires européens à faire émerger un marché unique des services financiers pourraient modifier la tendance.

Dans les trente dernières années, l’internationalisation du secteur de l’assurance a été progressive, avec quelques exemples de croissance organique « green field » dans les pays émergents notamment, mais surtout tirée par des acquisitions majeures et/ou des accords de bancassurance de long terme dans les pays développés. L’internationalisation n’a donc pas été linéaire et structurelle, mais au contraire relativement opportuniste au gré notamment du rythme des ouvertures réglementaires aux investisseurs étrangers ou de cessions d’activités d’assurance par des groupes domestiques.

Entre 2000 et 2015, la part du chiffre d’affaires généré dans leur pays d’origine par les assureurs dits « systémiques » (les neuf plus grands assureurs internationaux) est passée en moyenne de 57 % à 48 %. Pendant cette période, les plus grands assureurs tels que AXA, Allianz, Generali et Aviva ont généré la majeure partie de leur croissance à l’international, leur permettant un développement plus rapide que leurs concurrents purement locaux. Progressivement, pour ces acteurs, les stratégies d’internationalisation se sont portées au-delà de leur région d’origine.

Les grands assureurs mondiaux ont dans leur ensemble relativement bien résisté aux chocs financiers induits par la crise de 2008. Après l’éclatement de la bulle financière en 2008-2009 et l’atonie de la croissance économique dans les pays matures qui continue d’en découler, les plus grands assureurs ont été tentés de poursuivre leur quête de croissance à l’international dans les pays émergents. Mais la crise de 2008 a fragilisé des stratégies reposant trop sur l’optimisation du capital au-delà de pures stratégies industrielles.

L’assurance a ainsi un potentiel de développement extrêmement dépendant de la maturité économique et financière du pays en général. Les stratégies d’internationalisation des grands assureurs occidentaux vers les marchés où l’assurance est aujourd’hui peu présente sont ainsi à voir comme un pari sur l’avenir économique du pays, une plus forte industrialisation et urbanisation accroissant les besoins en assurance dommages, et une plus grande capacité d’épargne, rendant possible une plus forte croissance de l’assurance vie, de l’assurance santé et des produits d’épargne prévoyance.

L’internationalisation des assureurs a pu dans certains cas découler de celle de leurs clients – grandes entreprises industrielles ou de services cherchant à bénéficier de la même couverture de risques, pour leurs activités et leurs employés au-delà de leurs marchés initiaux.

  1. La capacité à entrer dans un pays étranger en tant qu’assureur originaire d’un autre pays est avant tout encadrée par les règles d’ouverture au capital étranger et par l’encadrement réservé aux investissements étrangers.
  2. Le deuxième niveau de régulation, après les règles d’installation, est celui lié aux codes des assurances et la facilité à obtenir une licence pour opérer et distribuer des produits d’assurance. Dans certains pays, cette licence est octroyée par grandes lignes de métiers (dommages, vie, santé), dans d’autres, une fois la ou les licences obtenues, l’autorisation est octroyée par région ou produit par produit (actuellement la plupart des pays africains ont une supervision où la licence est octroyée produit par produit, ce qui ralentit fortement la capacité d’innovation).
  3. Le troisième niveau est celui de la stabilité du droit et des régimes politiques. Dans de nombreux pays, moins que la régulation assurantielle elle-même, un facteur clé est la stabilité du droit (le pouvoir du juge pour régler des contentieux entre un assureur et ses assurés), l’évolution de la jurisprudence (essentielle pour la responsabilité civile, le respect des activités privées (face à un partenaire d’affaire local et face à l’État lui-même) et l’égalité de traitement des acteurs étrangers face aux acteurs locaux.
  4. Le dernier niveau réglementaire est celui des régulations adjacentes et qui permettent à l’assureur de se développer, d’innover et de distribuer ses produits, tout en maintenant un niveau de pratique commerciale adaptée à ses pratiques et ses normes internes.

 

Conclusion:

L’internationalisation n’est plus une fin en soi pour de nombreux grands assureurs, elle reste pour beaucoup d’entre eux indispensable à leur positionnement concurrentiel pour maintenir une taille critique et des économies d’échelle face à la pression réglementaire et la transformation radicale du secteur poussée par la digitalisation.

Les plus grands groupes internationaux ont pratiquement tous annoncé des politiques de « recentrage » stratégique sur un nombre plus limité de pays afin d’être plus à même de réinvestir leur capital uniquement sur les marchés qui peuvent apporter une contribution substantielle à une croissance profitable pérenne, dans la lignée des modèles opérationnels « multidomestiques » actuellement prépondérants.

Dans ce contexte global compétitif, les assureurs internationalisés vont donc devoir continuer à innover, pour atteindre un nombre plus grand de clients, et mieux protéger des risques nouveaux ou des biens actuellement non assurés dans un certain nombre de pays émergents – facteurs structurels de nature à entretenir encore longtemps la dynamique de croissance et d’internationalisation du secteur de l’assurance.