Emotional Energy: When Customer Interactions Energize Service Employees

Cayla, J., & Auriacombe, B. (2024). Emotional Energy: When Customer Interactions Energize Service Employees. Journal of Marketing, 89, 1-18.

Mots-clés : Énergie émotionnelle, interactions client-employé, service, travail émotionnel, ethnographie, marketing expérientiel.

 Julien Cayla et Brigitte Auriacombe explorent une approche novatrice des interactions entre employés de service et clients. Contrairement aux recherches antérieures qui décrivent ces interactions comme émotionnellement épuisantes, les auteurs montrent que certaines situations peuvent, au contraire, régénérer les employés en leur procurant une “énergie émotionnelle” (Collins, 2004).

À partir d’une enquête ethnographique menée dans les villages Club Med, ils identifient les facteurs qui influencent cette énergie émotionnelle et proposent un cadre permettant aux organisations de service d’optimiser cet atout crucial.

Développement :

  • L’énergie émotionnelle est définie par Collins (2004, p. 49) comme un état de confiance, enthousiasme et force ressenti lors d’interactions sociales réussies. Cette notion repose sur la théorie des rituels d’interaction, qui explique pourquoi certaines interactions dynamisent tandis que d’autres épuisent (Collins, 2004).

Selon Cayla et Auriacombe, quatre conditions favorisent la génération d’énergie émotionnelle lors des interactions de service :

  1. Coprésence physique : la proximité des corps dans l’espace crée un sentiment d’appartenance (Collins, 2004).
  2. Attention mutuelle : le fait que tous les participants se concentrent sur le même objet favorise la synchronisation émotionnelle (Collins, 2004).
  3. Humeur partagée : la contagion émotionnelle collective amplifie l’énergie ressentie (Hennig-Thurau et al., 2006).
  4. Barrières aux intrus : une séparation claire entre initiés et extérieurs renforce l’intensité émotionnelle (Durkheim, 1912).

Ces conditions expliquent pourquoi certains employés trouvent du plaisir et de la vitalité dans leurs interactions avec les clients, malgré la charge émotionnelle du travail de service (Cayla et Auriacombe, 2025).

  • Dans leur étude ethnographique au Club Med, Cayla et Auriacombe (2025) identifient deux types d’interactions qui régénèrent les employés de service :
  1. Les rassemblements effervescents
    • Événements collectifs intenses (spectacles, soirées) créant une fusion émotionnelle (Durkheim, 1912). Ces moments génèrent une énergie émotionnelle contagieuse, ce qui explique pourquoi certains employés de service se portent volontaires pour participer à ces événements malgré leur caractère non rémunéré (Cayla et Auriacombe, 2025).
  2. Les bulles d’intimité
    • Ce sont des interactions plus personnelles entre employés et clients, qui se produisent par exemple lors de repas partagés (Cayla et Auriacombe, 2025). Ils é favorisent un sentiment de reconnaissance et d’humanité dans le travail, similaire à ce que Price et Arnould (1999) ont observé chez les coiffeurs, qui développent des relations de confiance avec leurs clients.

Les auteurs Cayla et Auriacombe soulignent que le travail de service est souvent marqué par une asymétrie de pouvoir entre employés et clients (Taylor et Bain, 1999 ; Sherman, 2003). Cependant, ils identifient deux facteurs qui permettent de rehausser l’énergie émotionnelle des employés :

  1. Le statut
    • Certains moments permettent une élévation temporaire du statut des employés de service. Par exemple, lorsqu’un employé monte sur scène lors d’un spectacle, il devient le centre de l’attention, ce qui génère un choc de statut (Maoret, Marchesini et Ertug, 2023).
    • Ce phénomène est similaire à ce qu’Üstüner et Thompson (2012) décrivent comme des rituels de pouvoir inversés, où les employés acquièrent une forme de domination temporaire.
  2. L’autonomie
    • Lorsque les employés ont plus de liberté dans leur manière d’interagir avec les clients, ils trouvent davantage de plaisir et de sens dans leur travail (Cayla et Auriacombe, 2025).
    • À l’inverse, si les interactions deviennent une obligation imposée par la direction (ex. participation forcée aux repas avec les clients), elles perdent leur potentiel énergétique et deviennent source d’épuisement émotionnel (Grandey, 2000).

Enfin, l’article met en lumière le rôle des chaînes de rituels d’interaction (Collins, 2004) dans le travail de service :

  • Les interactions positives (ex. une soirée réussie, un bon échange avec un client) créent des spirales d’énergie ascendantes, où les employés accumulent de l’enthousiasme au fil de la journée (Cayla et Auriacombe, 2025).
  • Les interactions négatives (ex. confrontation avec un client difficile) peuvent briser cette dynamique et mener à une accumulation de rituels ratés, provoquant du stress et de la lassitude (Taylor et Bain, 1999).

Les entreprises de service doivent donc structurer les interactions de manière à favoriser les moments énergisants et à réduire les sources de tension (Cayla et Auriacombe, 2025).

Conclusion

L’étude de Cayla et Auriacombe apporte une nouvelle perspective sur les interactions client-employé en démontrant qu’elles peuvent être source d’énergie émotionnelle plutôt que de fatigue. En mobilisant la théorie des rituels d’interaction, les auteurs expliquent comment certaines conditions, telles que l’engagement collectif et l’autonomie des employés, permettent de transformer les interactions de service en expériences régénératrices. Ces résultats ouvrent des pistes pour repenser l’organisation du travail en front office afin d’améliorer le bien-être des employés et optimiser l’expérience client.

Références bibliographiques

Chan, K. W., & Wan, E. W. (2012). How can stressed employees deliver better customer service? The underlying self-regulation process. Journal of Marketing, 76(1), 119-137.

Collins, R. (2004). Interaction ritual chains. Princeton University Press.

Durkheim, É. (1912). Les formes élémentaires de la vie religieuse: Le système totémique en Australie. Presses Universitaires de France.

Grandey, A. A. (2000). Emotion regulation in the workplace: A new way to conceptualize emotional labor. Journal of Occupational Health Psychology, 5(1), 95-110.

Hennig-Thurau, T., Groth, M., Paul, M., & Gremler, D. D. (2006). Are all smiles created equal? How emotional contagion and emotional labor affect service relationships. Journal of Marketing, 70(3), 58-73.

Maoret, M., Marchesini, G., & Ertug, G. (2023). Status dynamics in organizations: How temporary status shocks shape employee engagement. Academy of Management Journal, 66(2), 385-412.

Price, L. L., & Arnould, E. J. (1999). Commercial friendships: Service provider-client relationships in context. Journal of Marketing, 63(4), 38-56.

Rouquet, A., & Suquet, J.-B. (2021). Customer sovereignty and service work: The paradox of employee control. Journal of Service Research, 24(2), 212-228.

Sherman, R. (2003). Class acts: Service and inequality in luxury hotels. University of California Press.

Taylor, P., & Bain, P. (1999). “An assembly line in the head”: Work and employee relations in the call centre. Industrial Relations Journal, 30(2), 101-117.

Üstüner, T., & Thompson, C. J. (2012). How marketplace performances produce interdependent status games and contested forms of symbolic capital. Journal of Consumer Research, 38(5), 796-814.