Expériences de consommation et marketing expérientiel by Carù A., & Cova B. (2006).

Résumé :

La notion d’expérience est devenue un élément-clé de compréhension du comportement du consommateur et le fondement principal d’une nouvelle démarche marketing : le marketing expérientiel. Prenant appui sur l’idée que le consommateur actuel cherche à vivre des immersions dans des expériences extraordinaires plutôt qu’à rencontrer de simples produits ou services, le marketing expérientiel prête le flanc à de sévères critiques pratiques et théoriques qui sont développées dans cet article.

Mots clefs :

marketing expérientiel ; expérience consommation ; expérience client ; comportement du consommateur 

Développement :

Aujourd’hui, l’expérience est considérée comme un concept-clé de la théorie de la culture du consommateur (CCT, Consumer Culture Theory; Arnould et Thompson, 2005).

Elle est aussi devenue le fondement principal d’une «économie de l’expérience» (Pine et Gilmore, 1999), à la suite de laquelle s’est développé un marketing expérientiel (Schmitt, 1999) qui tend à proposer aux consommateurs des immersions dans des expériences extraordinaires plutôt que des achats de simples produits ou services.

Selon J. Baudrillard (1970), la consommation est devenue une activité de production de significations et un champ d’échanges symboliques : les consommateurs ne consomment pas les produits, mais, au contraire, consomment le sens de ces produits.

Dans le cas d’une ampoule connectée, les clients ne veulent pas seulement avoir de la lumière dans leur chambre d’hôtel mais veulent avoir la possibilité de la personnaliser en créant une ambiance lumineuse qui leur est propre, une ambiance qui répond à leurs envies du moment et s’adapte à leur humeur.

Le consommateur est alors progressivement perçu comme un être émotionnel à la recherche d’expériences sensibles (Maffesoli, 1990) que peut lui procurer l’interaction avec les produits et services du système de consommation.

C’est en ce sens que l’expérience de consommation a été théorisée (Holbrook et Hirschman, 1982) comme un vécu personnel et subjectif, souvent chargé émotionnellement, du consommateur.

Dans la perspective expérientielle, au contraire, le consommateur cherche moins à maximiser un profit qu’à revendiquer une gratification hédoniste dans un contexte social ; la consommation provoquant des sensations et des émotions qui, loin de répondre seulement à des besoins, vont jusqu’à toucher à la quête identitaire du consommateur (Cova et Cova, 2001).

L’expérience de la consommation a des caractéristiques spécifiques qui la distinguent clairement comme paradigme alternatif. Nous les résumerons ci-dessous au travers de cinq dimensions qui sont : les spécificités de l’acteur, le processus de génération de l’expérience, son champ d’application principal, l’étendue de son impact et sa validation sociale.

Selon cet auteur (Vézina (1999, p.62)), les traits saillants de la consommation expérientielle se présentent comme suit :

– le consommateur n’est pas que consommateur ;

– le consommateur agit à l’intérieur de situations ;

– le consommateur est à la recherche de sens ;

– la consommation ne se limite pas à l’achat.

Le processus de génération de consommation expérientielle se déploie sur une période de temps qui peut se décomposer en quatre grandes phases (Arnould et al., 2002) :

– l’expérience d’anticipation qui consiste à rechercher, planifier, rêver éveillé, budgéter ou fantasmer l’expérience;

– l’expérience d’achat qui relève du choix, du paiement, de l’empaquetage, de la rencontre de service et de l’ambiance ;

– l’expérience proprement dite qui inclue la sensation, la satiété, la satisfaction/ insatisfaction, l’irritation/le flux, la transformation ;

– l’expérience de souvenir qui mobilise notamment des photographies pour revivre l’expérience passée, qui s’appuie sur les récits d’histoires et les discussions avec les amis sur les jours passés, qui passe par le classement des souvenirs…

(Pour partie « l’étendue de son impact ») Pour d’autres chercheurs […], notamment les tenants d’un marketing postmoderne (Firat et Dholakia, 1998) ce qui procure le plaisir c’est l’immersion totale du consommateur dans une expérience originale.

Ils insistent ainsi sur la quête croissante de la part des consommateurs contemporains d’immersion dans des expériences variées afin d’explorer une multiplicité de nouveaux sens à donner à leurs vies.

S’il est bien compris (Benavent et Evrard, 2002; Filser, 2002) que le consommateur, dans la perspective expérientielle, n’est pas un acteur passif qui réagit à des stimuli mais un acteur et un producteur de ses propres expériences de consommation même les plus hyperréelles, les entreprises doivent cherchent à aider leurs clients dans la production la réalisation de ces expériences.

Les méthodes avancées pour permettre à l’entreprise de (co)produire des expériences avec et pour le consommateur présentent un point commun : il s’agit de théâtraliser et mettre en scène à la fois le consommateur et l’offre de l’entreprise au travers d’un travail important sur le décor, c’est-à-dire le design d’environnement et l’ambiance du point de vente.

L’individu qui consomme ne cherche pas qu’à participer à des expériences, aussi spectaculaires et extraordinaires soient-elles, il veut en être aussi le concepteur et le producteur actif (de Certeau, 1980).

Il ne faut pas que l’entreprise, dans son désir de faire vivre à ses clients une expérience exceptionnelle, prévoit tout dans les moindres détails, pour le confort du client et pour lui rendre le quotidien plus facile, et oublie de les faire participer activement et de les faire interagir avec les objets. Par exemple : dans une chambre, le client peut uniquement choisir entre différents « scénarios » / différentes ambiances lumineuses/sonores … alors qu’il devrait avoir la possibilité de manipuler les différents objets et créé sa propre ambiance s’il en a envie.

L’expérience du consommateur n’est pas programmable ; l’entreprise peut l’aider à accéder à l’expérience, mais il garde le libre arbitre de s’approprier ou non ce qui est présenté par l’entreprise.

Bibliographie :

Arnould E.J., Price L., Zinkhan G. (2002). Consumers, McGraw-Hill, New York.

Arnould E.J., Thompson C.J. (2005). “Consumer Culture Theory (CCT): Twenty Years of Research”, Journal of Consumer Research, vol.31, March, p.868-882.

Baudrillard J. (1970). La société de consommation, Denoël, Paris.

Benavent C., Evrard Y. (2002). « Extension du domaine de l’expérience », Décisions Marketing, n°28, octobre-décembre, p.7-11.

Certeau M. (de) (1980). L’invention du quotidien. 1. Arts de faire, Gallimard, Paris.

Cova V., Cova B. (2001). Alternatives Marketing : réponses marketing aux évolutions récentes des consommateurs, Dunod, Paris.

Firat A.F., Dholakia N. (1998). Consuming People: From Political Economy to Theaters of Consumption, Sage, London.

Holbrook M.B., Hirschman E.C. (1982). “The Experiential Aspects of Consumption: Consumer Fantasy, Feelings and Fun”, Journal of Consumer Research, vol.9, n°2, p.132-140.

Maffesoli M. (1990). Au creux des apparences : pour une éthique de l’esthétique, Plon, Paris.

Pine B.J., Gilmore J. (1999). The Experience Economy: Work is Theatre and Every Business a Stage, HBS Press, Harvard.

Schmitt B. H., Experiential Marketing: How to Get Customers to Sense, Feel, Think, Act and Relate to Your Company and Brands, The Free Press, New York, 1999.

Vézina R. (1999). « Pour comprendre et analyser l’expérience du consommateur », Gestion, vol.24, n°2, p.59-65.