Les tensions sur le marché du crédit de trésorerie en France dans une perspective historique

Kheira BenhamiMarie BessecGuillaume Gilquin (2017), Les tensions sur le marché du crédit de trésorerie en France dans une perspective historique, Économie et prévision, (N° 210), pages 95 à 111 https://doi.org/10.3917/ecop.210.0095

 

Mots clés : Rationnement du crédit, Modèle de déséquilibre, Financement des entreprises

 

Dans cet article, on analyse les tensions sur le marché du crédit de trésorerie des entreprises en France de 1994 à 2013. Le but est de distinguer ce qui relève d’une baisse de la demande de crédit liée au ralentissement de l’activité ou d’une restriction de l’offre bancaire due à la diminution des crédits octroyés.

Dans une situation où le volume de crédits aux entreprises diminue fortement et/ou durablement, la question suivante se pose : cette baisse relève-t-elle d’un recul de la demande de crédit liée au ralentissement de l’activité des entreprises ou d’une restriction de l’offre de financement par les banques ?

 

Développement:

Suite à l’intensification de la crise financière en 2009, un enjeu politique important fait l’objet d’une attention particulière dès lors qu’une baisse des crédits octroyés est constatée.

Après avoir proposé, dans un premier temps d’exposer la littérature économique sur le rationnement du crédit, dans un second temps, on nous parle du modèle de déséquilibre, des résultats d’estimation et pour finir on aborde la mise en perspective des résultats.

On parle de rationnement du crédit lorsque la demande de crédit se retrouve durablement supérieure à l’offre. Lorsque cette situation est très prononcée, elle peut générer un « credit crunch » ou effondrement du crédit, c’est-à-dire une baisse significative du niveau de crédit dans l’économie.

Lorsqu’une banque augmente son taux d’intérêt elle augmente sa marge unitaire, cette hausse se traduit également par une dégradation du profil de risque des nouveaux emprunteurs et donc de la qualité moyenne de son portefeuille de prêts. Mais une augmentation du taux d’intérêt pratiqué par une banque n’augmente pas toujours son profit.

Les banques ne sont pas en mesure d’évaluer précisément les risques des projets présentés par les demandeurs de crédit. Afin de maximiser leurs profits, elles vont préférer fixer une borne supérieure au taux d’intérêt et rationner quantitativement le crédit en ne répondant pas à la demande de certains emprunteurs, alors même que ces derniers seraient prêts à payer un taux d’intérêt supérieur et qu’une partie d’entre eux présente des projets risqués mais rentables.

Il apparaît que l’offre de crédit des banques augmente avec la marge bancaire, les encours de dépôts et livrets et diminue avec les créances douteuses et la volatilité des marchés financiers. La demande de crédit des entreprises est liée positivement à l’activité passée et aux stocks ; elle diminue avec le niveau de trésorerie des entreprises et les encours obligataires sur la période 2009-2013, preuve que le financement obligataire s’est substitué au crédit sur la période pour les entreprises.

la demande de crédit des entreprises est liée positivement à l’activité passée et aux stocks ; elle diminue avec le niveau de trésorerie des entreprises et les encours obligataires sur la période 2009-2013, preuve que le financement obligataire s’est substitué au crédit sur la période pour les entreprises.

 

Résultats:

Les résultats obtenus dans cette étude concordent partiellement avec les études et enquêtes disponibles sur la France.

S’il existe des enquêtes qualitatives dans ce domaine, menées notamment par la Banque de France, il est très difficile d’aborder cette question du point de vue quantitatif, le crédit octroyé étant la seule variable observable. Dans cette étude, les chercheurs visent donc à apporter un éclairage quantitatif à cette question en estimant sur les vingt dernières années, dans une approche macroéconomique, le niveau et les déterminants de la demande et de l’offre de crédit de trésorerie aux entreprises en France.

Les résultats issus d’un modèle macro-économétrique suggèrent que les tensions sur le marché du crédit se manifestent en sortie de récession (en 1994-1995 et en 2009-2010), pouvant alors freiner la reprise économique. Les chercheurs estiment alors une offre et une demande de crédit en supposant que le montant de crédit effectivement octroyé correspond à la plus petite des deux quantités offertes et demandées à tout instant.

La demande de crédit de trésorerie serait principalement influencée par l’activité des entreprises et leur niveau de trésorerie et, depuis 2009, par le recours aux émissions obligataires. L’évolution de l’offre dépendrait principalement des créances douteuses.

 

Conclusion:

L’aggravation brutale de la crise financière en septembre 2008 et la baisse du financement bancaire des entreprises a fait craindre une situation d’insuffisance de l’offre de crédit des banques et donc un éventuel épisode de rationnement du crédit aux entreprises en France. Dans cet article, on distinguer ce qui, dans la diminution des crédits octroyés, relève d’une simple baisse de la demande de crédit des entreprises liée au ralentissement de l’activité ou d’un rationnement de l’offre de crédit.

Il faut garder à l’esprit les fragilités du modèle des chercheurs tant au niveau de la robustesse des estimations que de l’interprétation des résultats.

 

Ouverture:

L’hypothèse de constance des élasticités de l’offre et de la demande de crédit est une limite dans cette analyse, tant l’environnement économique et financier a évolué ces vingt dernières années.

 

Références:

  • Atanasova C. et Wilson N. (2004). “Disequilibrium in the UK Corporate Loan Market”, Journal of Banking and Finance, vol. 28, n° 3, pp. 595-614.
  • Aubier M. et Cherbonnier F. (2007). “L’accès des entreprises au crédit bancaire”, Économie et Prévision, n° 177, pp. 121-128.
  • Banque Européenne d’investissement (2014). “Unlocking Lending in Europe”, Publication du département d’analyses économiques, 56 pages.
  • Cabannes P.Y., Cottet V., Dubois Y., Lelarge C. et Sicsic M. (2013). “Les ajustements des entreprises françaises pendant la crise de 2008/2009”, Insee, L’économie française, pp. 53-67.
  • Cailloux J., Landier A. et Plantin G. (2014). “Crédit aux PME : des mesures ciblées pour des difficultés ciblées”, Les notes du Conseil d’Analyse Économique, n° 18, décembre, 12 pages.
  • Ghosh A. et Ghosh S. (1999). “East Asia in the Aftermath : Was There a Crunch ?”, IMF Working Paper, 21 pages.
  • Guinouard F., Kremp E. et Randriamisaina M. (2013). “Accès au crédit des PME et ETI : Fléchissement de l’offre ou moindre demande ?”, Bulletin de la Banque de France, n° 192, pp. 35-44.
  • Holmström B. et Tirole J. (1997). “Financial Intermediation, Loanable Funds, and the Real Sector”, The Quarterly Journal of Economics, vol. 112, n° 3, pp. 663-691.
  • En ligneHolton S., Lawless M. et McCann F. (2013). “SME Financing Conditions in Europe : Credit Crunch or Fundamentals ?”, National Institute Economic Review, n° 225, pp. 52-67.
  • Hurlin C. et Kierzenkowski R. (2007). “Credit Market Disequilibrium in Poland : Can We Find what we Expect ?”, Economic Systems, vol. 31, n° 2, pp. 157-183.
  • Jaffee D. et Modigliani F. (1969). “A Theory and Test of Credit Rationing”, American Economic Review, vol. 59, n° 5, pp. 850-872.
  • En ligneJiménez G., Ongena S., Peydró J.L. et Saurina S. (2012). “Credit Supply and Monetary Policy : Identifying the Bank Balance-Sheet Channel with Loan Applications”, American Economic Review, vol. 102, n° 5, pp. 2301-2326.
  • Kim H. (1999). “Was the Credit Channel a Key Monetary Transmission Mechanism Following the Recent Financial Crisis in the Republic of Korea ?”, Working Paper, World Bank Policy Research n° 2103, 31 pages.
  • Kremp E. et Sevestre P. (2013). “Did the Crisis Induce Credit Rationing for French SMEs ?”, Journal of Banking and Finance, vol. 37, n° 10, pp. 3757-3772.
  • Kremp E. et Sevestre P. (2014). “Le crédit bancaire aux PME en France : d’abord la persistance d’une faible demande”, Insee Références, Les entreprises en France, pp. 57-65.
  • Laffont J.J. et Garcia R. (1977). “Disequilibrium Econometrics for Business Loans”, Econometrica, vol. 45, n° 5, pp. 1187-1204.
  • Lecler O. (1996). “Comment interpréter la dégradation des trésoreries dans l’industrie en 1995 ?”, Note de conjoncture de l’Insee – Mars 1996, pp. 24-30.
  • Lobez F. et Vilanova L. (2006). Microéconomie bancaire, Presses Universitaires de France, 331 pages.
  • Maddala G. et Nelson F. (1974). “Maximum Likelihood Methods for Models of Markets in Disequilibrium”, Econometrica, vol. 42, n° 6, pp. 1003-1030.
  • Nehls H. et Schmidt T. (2003). “Credit Crunch in Germany ?”, RWI Discussion Paper n° 6, 21 pages.
  • Pazarbasioglu C. (1997). “A Credit Crunch ? Finland in the Aftermath of the Banking Crisis”, IMF Staff Papers, vol. 44, n° 3, pp. 1-18.
  • Rottmann H. et Wollmershäuser T. (2013). “A Micro Data Approach to the Identification of Credit Crunches”, Applied Economics, vol. 45, n° 17, pp. 2423-2441.
  • Steijvers T. et Voordeckers W. (2007). “Credit Rationing for SME’s in the Corporate Bank Loan Market of a Bank-Based Economy”, Working Paper, Limburgs Universitair Centrum, Belgique, 40 pages.
  • Stiglitz J.E. et Weiss A. (1981). “Credit Rationing in Markets with Imperfect Information”, American Economic Review, vol. 71, n° 3, pp. 393-410.