« Les réseaux sociaux : nouveaux espaces de contestation et de reconstruction de la politique ? »

Richaud, C. (2017). « Les réseaux sociaux : nouveaux espaces de contestation et de reconstruction de la politique ? ». Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 57(4), 29-44. https://www.cairn.info/revue-les-nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel-2017-4-page-29.htm

Mots-clés : réseaux sociaux, relation gouvernants/gouvernés, horizontalité, verticalité, équilibre

Dans cet article de Coralie Richaud paru dans Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel en 2017, l’auteur décrypte la communication politique faite sur les réseaux sociaux et démontre en quoi ces nouveaux médias sont devenus de nouveaux espaces de contestation et de reconstruction de la politique.

Pour mieux comprendre la relation entre réseaux sociaux et politique, Richaud compare ces deux univers et décrit leurs antagonismes. D’une part, les réseaux sociaux sont marqués par leur volatilité, leur viralité et leur rapidité ; particularités diamétralement opposées à la politique, symbole de la verticalité, de l’ordre et de la hiérarchie. Sur les réseaux sociaux, n’importe qui peut juger et émettre une opinion (politique ou non). Ces différences font que les réseaux sociaux ont changé de façon importante le rapport des internautes à la politique. En effet, les réseaux sociaux sont devenus des outils de discussion et de contestation de la politique, et redéfinissent les rapports entre politiciens et électeurs.

Richaud illustre ses propos en détaillant la structure de la politique et des réseaux sociaux afin d’évaluer leur(s) impact(s) sur la relation entre gouvernants et gouvernés :

La relation gouvernants/gouvernés est plutôt verticale dans sa structure : en effet, l’action du vote et de l’élection suggère un « mouvement ascendant des gouvernés vers les gouvernants », tandis que la mise en œuvre de la politique implique un « mouvement descendant des gouvernants vers les gouvernés ».

Ce schéma de fonctionnement de la politique s’oppose aux réseaux sociaux, qui sont construits dans une logique horizontale dans les rapports entre ses utilisateurs. Ainsi, sur ces médias les personnalités politiques sont placées au même niveau virtuel que tous les utilisateurs. Richaud souligne ainsi le rééquilibrage de la relation gouvernants/gouvernés.

Selon Richaud, la redéfinition des relations gouvernants/gouvernés est « inhérente à la structure des réseaux sociaux ». En effet, les réseaux sociaux représentent un outil de réalisation de la citoyenneté, car étant un espace propice à la liberté d’expression. On comprend donc l’impact des réseaux sociaux dans l’aplanissement du schéma vertical de la politique.

Cependant, cette redéfinition des rapports gouvernants/gouvernés est permise par une contestation collective. Les réseaux sociaux, de par la liberté d’expression qui y règne, offrent un espace idéal aux internautes pour mener une contestation virtuelle et permettent, selon Richaud, d’amplifier les phénomènes contestataires : selon F. Granjon en 2001, internet et les réseaux sociaux permettent de « mettre en visibilité la multitude ».

Richaud illustre son propos avec plusieurs exemples de rebellions lancées/menées sur les réseaux sociaux, comme le « révolution de Jasmin » en Tunisie lors des printemps arabes. Les réseaux sociaux ont eu un rôle d’accélérateur dans le cadre de la construction et de la propagation d’idées politiques révolutionnaires.

Les nombreuses révoltions « 2.0 » menées sur les réseaux sociaux (Printemps arabes, manifestations à Hong-Kong…) montrent la menace que représentent ces médias sur l’équilibre de la relation verticale gouvernants/gouvernés.

Pourtant, Richaud souligne le fait que lorsque les contestations sont personnelles et individuelles, les réseaux sociaux ne permettent plus de hisser les contestations aux oreilles des gouvernants. L’horizontalité caractéristique des réseaux sociaux n’aplanit alors plus le schéma vertical de la politique. Les contestations individuelles ne contribuent pas à faire vivre la démocratie.

Aussi, les réseaux sociaux symbolisent une culture narcissique de soi-même et favorisent des courses à la popularité entre les internautes. Quand ils ne sont que de simples réceptacles du message politique, les réseaux sociaux n’assurent plus leur dimension d’outil contestataire, puisque les internautes ne s’inscrivent alors plus dans un « processus collectif de démocratie délibérative ».

Al Gore, vice-président des USA, déclarait en 1994 que le modèle de la structure d’internet était « un nouvel âge athénien de la démocratie ».

Certaines personnalités politiques voient pourtant les réseaux sociaux comme des « thermomètre », des «baromètres de l’opinion publique », ce qui explique l’investissement et l’implication de nombreux politiques dans l’utilisation des réseaux sociaux. Sébastien Defix justifiera la présence des politiciens sur les médias sociaux pendant les campagnes électorales car ils sont devenus « des éléments incontournables de la stratégie de communication des candidats ».

Bien qu’utiles, les réseaux sociaux peuvent aussi être à l’origine d’échecs politiques : certaines personnalités politiques préfèrent parfois quitter les réseaux sociaux, comme Cécile Duflot le lendemain de sa défaite aux primaires écologistes en 2016 qui déclare dans Libération « ne plus vouloir jouer le jeu des réseaux sociaux ». Alain Juppé, après sa défaite aux primaires de la droite la même année, déplorait que « les réseaux sociaux sont la poubelle de l’univers » dans Le journal du dimanche.

Références :

  • Oberdorff H. (2010), La démocratie à l’ère numérique, Presses Universitaires de Grenoble, p. 7.
  • Sedda, P. (2015). L’internet contestataire. Comme pratique d’émancipation: Des médias alternatifs à la mobilisation numérique. Les Cahiers du numérique, vol. 11(4), 25-52. https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-numerique-2015-4-page-25.htm.
  • Granjon F. (2001), L’Internet militant, Apogée, p. 30.
  • Mercier A. (2015), Twitter, espace politique, espace polémique. L’exemple des tweet-campagnes municipales en France (janvier-mars 2014), Les cahiers du numérique, 2015/4, vol n° 11, p. 145.
  • Intervention d’Al Gore en 1994, vice-président des États-Unis à l’Union Internationale des Télécommunications, disponible sur le site http://search.itu.int/history/HistoryDigitalCollectionDocLibrary/4.144.57.en.104.pdf
  • Boyadjian J. (2014). Twitter, un nouveau baromètre de l’opinion publique ?. Participations, 8(1), 55-74.
  • Defix S. (2014), Réseaux sociaux et règles de propagande électorale. Actualité juridique. Collectivités territoriales – AJCT, Dalloz.