Rascle, N. & Irachabal, S. (2001). Médiateurs et modérateurs : implications théoriques et méthodologiques dans le domaine du stress et de la psychologie de la santé. Le travail humain, vol. 64(2), 97-118. doi:10.3917/th.642.0097.

https://www.cairn.info/revue-le-travail-humain-2001-2-page-97.htm#

Abstract :
« C’est également pour des raisons méthodologiques que, trop longtemps sans doute, on s’est contenté de tester des modèles simples de type “ stimulus → réponse ” (cf. Fig. 1a), où l’impact d’une variable manipulée sur la variable à prédire est direct et unique. Dans ce cas, c’est l’influence du contexte ou des caractéristiques individuelles qui prédisent un comportement. »
« Afin d’atténuer ces confusions et d’éclaircir les notions de médiateur et de modérateur, nous commencerons par souligner leurs différences. Puis nous montrerons comment ces variables s’intègrent dans les modèles de la psychologie de la santé et de la psychologie du travail. Enfin nous tenterons d’expliquer les méthodes d’analyse quantitative susceptibles de tester leurs effets respectifs. »

Modérateur :
Un modérateur est plutôt une variable de nature qualitative (sexe, race, contexte…) ou quantitative (niveau de revenu…) affectant la direction ou l’intensité de la relation entre la variable indépendante et la variable dépendante. C’est le principe de l’interaction statistique où des variables indépendantes peuvent isolément avoir un effet différent de leur effet combiné :

Le principe d’une variable modératrice est de modifier la relation entre un prédicteur et un critère. Stern, McCants et Pettine (cités par Baron et Kenny, 1986) font apparaître, par exemple, un impact différentiel des changements de vie sur la survenue de maladies.
D’une manière générale, selon la nature de la variable modératrice (qualitative ou quantitative), différentes analyses peuvent être utilisées pour vérifier un effet modérateur :
• Comparer les corrélations prédicteur-critère entre différents groupes ayant un score élevé ou faible sur le modérateur ;
• Faire une analyse de variance ;
• Utiliser un terme multiplicatif (prédicteur × modérateur) dans une régression multiple ;
• Utiliser un terme multiplicatif (prédicteur × modérateur) dans une piste causale.

Comparaison de corrélations
Lorsque les variables indépendantes et dépendantes sont continues et que la variable modératrice est de nature dichotomique (sexe, par ex.), on utilise cette méthode. On divise la population en deux selon son score sur le modérateur (ou selon son sexe) et on effectue une régression sur chacune de ces deux populations entre les prédicteurs et le critère. Suivant la signification conceptuelle de ce modérateur (amplificateur de la perturbation ou réducteur tampon), le sens de la corrélation sera modifié d’un groupe à l’autre. C’est le cas, par exemple, d’une étude menée auprès d’un groupe de cadres (Howard, Cunningham, & Rechnitzer, 1986) qui cherche à mettre en évidence l’impact différentiel de stresseurs professionnels (ambigu ïté de rôle) sur des indicateurs de risque coronariens selon la personnalité des sujets (type A, type B). L’analyse des résultats montre que la corrélation entre l’ambigu ïté de rôle et certains indicateurs physiologiques comme la pression artérielle est plus élevée chez les sujets de type A


Analyse de variance à deux facteurs
Pour tester un effet modérateur, l’analyse de variance à deux facteurs est la méthode la plus traditionnellement utilisée. Lorsque le prédicteur et le modérateur sont des variables qualitatives et la variable dépendante de nature continue, on peut tester l’effet d’interaction entre ces deux variables indépendantes. Le principe consiste à évaluer les effets principaux des deux variables indépendantes sur le critère, ainsi que leur interaction. Cette dernière doit avoir un effet significatif. C’est le cas du soutien social vu comme un modérateur de la relation stress-maladie (Rascle, 1994). L’issue adaptative dépend en fait de l’intensité des deux variables indépendantes. Selon l’intensité du soutien social disponible, l’impact d’événements stressants sera plus ou moins nocif pour l’individu. Ce qui signifie, dans ce cas, que l’effet de l’une des variables indépendantes n’agit qu’en fonction de l’intensité de l’autre. Nous avons affaire à un véritable effet d’interdépendance (ou interaction mécanique).
De nombreuses études ont utilisé cette méthode dans le but de démontrer un effet modérateur (House, 1981 ; Seers, McGee, Serey, & Graen, 1983).


Régression multiple avec terme multiplicatif
Il s’agit dans ce cas de construire une nouvelle variable qui sera le produit de deux prédicteurs (personnalité × stresseur par exemple ou stresseur × soutien social), puis d’effectuer une régression multiple hiérarchique. Lorsque l’on choisit la méthode pas à pas, il convient de commencer par entrer dans l’équation les variables prédictives, puis, en dernier, le produit de ces variables (variable modératrice). L’effet modérateur est vérifié lorsque le changement de R2 (son augmentation) est significatif après l’entrée de cette variable d’interaction. Dans l’étude déjà citée de Helgeson (1992), la variable d’interaction (lieu de contrôle spécifique à la santé × réhospitalisation) prédit significativement l’ajustement de patients atteints de pathologies cardio-vasculaires. Lorsque cette variable est introduite dans l’équation de régression, le R2 (ou % de variance expliquée) augmente significativement de 5 % (β = – 0,21 ; p < .05), alors que la réhospitalisation ne prédit pas à elle seule l’ajustement (β = 0,03).


L’analyse des pistes causales ou régression partielle
Un autre moyen de tester l’effet d’interaction entre deux prédicteurs sur un critère consiste à utiliser les modèles structuraux (Lisrel, par ex.). Autre méthode de régression, l’analyse des pistes causales (régressions partielles) appartient à cette catégorie. Cette méthode fournit des coefficients d’influence directe, indirecte et totale de toutes les variables explicatives sur les critères. Ce sont des coefficients de régression partielle car ils ne prennent en compte que le poids réel de la relation entre deux variables une fois contrôlé celui des autres variables du modèle et les erreurs de mesure (dues à la non-fidélité des mesures, à l’échantillonnage, à la normalité des distributions).
Dans un exemple illustratif de la méthode employée, Li, Harmer, Duncan, Duncan, Acock et Boles (1998) testent un modèle dans lequel deux variables prédictives prises isolément (niveau de compétence et d’autonomie) sont associées à une variable latente (produit des deux) pour expliquer le critère (motivation à faire des exercices physiques). L’effet d’interaction est dans ce cas démontré sans qu’il soit contaminé par celui des autres variables.