Les effets des modèles retouchés par ordinateur sur l’évaluation du produit et sur l’estime de soi des jeunes filles

Borges A. (2011), Les effets des modèles retouchés par ordinateur sur l’évaluation du produit et sur l’estime de soi des jeunes filles, Recherche et Applications en Marketing 26, (4), 5–22.

Wiseman (1992) met en avant les retouches excessives des publicités. La présente recherche analyse l’impact des retouches de photo dans la publicité sur l’évaluation des produits d’une part, et sur l’estime de soi des jeunes filles d’autre part. L’auteur cherche aussi à savoir si un avertissement peut être efficace pour modifier ces impacts sur les consommateurs, comme celui proposé par l’Assemblée Nationale en 2009. La littérature est très contradictoire quant aux effets des avertissements, le tabac en est un très bon exemple (Golmier, Chebat et Gélinas-Chebat, 2007 ; Pechman et Shih 1999 ; Pechman et alii 2003). L’auteur s’appuie également dans son analyse sur la théorie de comparaison sociale, énoncée par Festinger (1954). La publicité porte atteinte selon l’auteur à la perception générale de soi : l’estime de soi, l’assurance sociale, la satisfaction de son apparence qui est la cause première de boulimie ou d’anorexie.

ETUDE 1 : Des jeunes filles de moins de vingt ans devaient répondre à un questionnaire après avoir été confrontées à une des publicités suivantes : photo non retouchée, photo retouchée par ordinateur sans avertissement, photo retouchée avec avertissement. Tous les autres détails de la publicité étaient identiques : le nom, la taille et la forme du parfum, le mannequin, etc. Les seules différences étaient donc dues au logiciel de retouche. Le questionnaire visait à analyser l’évaluation du produit par les participantes ainsi que leur perception d’elles-mêmes.

ETUDE 2 : Cette étude cherche à affiner les résultats de la première. C’est en effet le corps entier du mannequin que l’on peut voir sur la photo et non plus uniquement son visage. De plus l’avertissement texte a été changé afin de le rendre plus compréhensible et accessible par le public visé. Enfin, un quatrième type de publicité a été ajouté : une photo retouchée avec un avertissement graphique.

Les résultats de ces deux études montrent qu’une publicité retouchée permet une meilleure évaluation du produit par les participantes mais parallèlement une moins bonne perception de soi. En effet l’intention d’achat était la plus grande pour le groupe confronté à la photo retouchée par ordinateur, et les participantes étaient même prêtes à payer plus cher pour le produit. Toutefois, ce même groupe avait une perception de soi beaucoup plus négative. Le mannequin retouché représente inconsciemment pour ces jeunes filles un idéal de beauté qu’elles rêvent d’atteindre mais qui est toutefois irréaliste. Des incompréhensions et des frustrations naissent alors et peuvent entraîner des problèmes alimentaires et psychiques, qui baissent leur estime de soi et leur confiance en elles. L’avertissement texte ne s’est pas révélé particulièrement efficace dans les deux études, quelle que soit la manière de le formuler : comme prévu par les autorités législatives ou un style plus facilement compréhensible. Il n’a pas amélioré la perception de soi des jeunes filles qui y étaient confrontées. En revanche l’étude 2 nous révèle qu’un avertissement graphique est particulièrement efficace : les participantes confrontées à cet avertissement présentent en effet une estime de soi, une assurance sociale et une satisfaction de leur apparence, supérieures à celles du groupe sans avertissement.

Ainsi cette étude nous permet d’affirmer qu’un avertissement graphique permettrait de corriger les impacts négatifs induits par les publicités retouchées parmi les jeunes filles, et plus particulièrement les adolescentes, car il permet d’identifier clairement le biais et de corriger son jugement initial (Schwarz et Clore, 1983 ; Winkielman, Zajonc et Schwarz, 1997). Ce serait un bon outil de lutte contre les troubles alimentaires et psychiques qui sévissent à cet âge. De nombreux auteurs ont en effet déjà démontré l’efficacité des graphiques (Kees et alii, 2010 ; Sabbane, Bellavance et Chebat, 2009 ; Gilbert, 1991 ; Schwarz et Clore, 1983).

En conclusion, si l’attractivité du mannequin met en jeu la rentabilité du produit présenté, on comprend pourquoi les publicitaires recourent autant à cette pratique. Ils sont alors souvent confrontés à un dilemme éthique important : faire du chiffre d’affaires au détriment de l’image que les jeunes filles auront d’elles-mêmes ? La marque Dove a lancé depuis plusieurs années sa campagne publicitaire pour « la vraie beauté », mais ce type d’initiative est encore très peu développé.
L’une des limites de cette recherche réside dans le fait que l’échantillon étudié n’est pas particulièrement représentatif de la population, car les participantes viennent d’une même université française. De plus, de futures recherches pourraient se centrer sur l’efficacité d’autres avertissements mettant en avant le caractère irréel de la publicité. Enfin, il serait intéressant de se demander si les effets démontrés dans cette étude sur les jeunes filles pourraient être les mêmes sur les jeunes garçons. Si ce malaise nait si tôt, et si la publicité est toujours plus envahissante, comment ces jeunes filles peuvent-elles grandir en ayant confiance en elles ? Il devient donc nécessaire d’expliquer aux enfants que cela ne correspond pas à la réalité. Ce malaise est susceptible de durer pendant de longues années, ne facilitant pas ces personnes à avoir de l’assurance en société. Le plus important est de comprendre que ce malaise intervient dans une période primordiale de la vie, au cours de laquelle l’enfant se construit et passe du monde de l’enfance à celui de l’adulte. Il est donc urgent de réguler les impacts de la publicité, la prévention peut être un moyen très efficace pour permettre une réelle prise de conscience parmi les consommateurs.

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